IFPI – un pirate vaut mieux que deux tu l’auras

Le download = terrorismeIl est assez cocasse de constater qu’en ce jour de sommet mondial de l’information à Tunis, l’IFPI décide de lancer sa « plus grande vague d’actions judiciaires contre le partage illégal de fichiers ». Si l’on parle de la Tunisie, c’est avant tout parce qu’un (des ?) journaliste occidental a été agressé dans cet Etat aussi transparent que du pétrole brut, et non pas en raison de la main-mise totalement inacceptable des Etats-Unis sur les pilliers d’internet – ce qui était tout de même l’un des enjeux majeurs du second volet de ce sommet, faisant suite à une première partie s’étant tenu à Genève en 2003. De la même manière, si l’IFPI parle des pirates, c’est pour défendre ses propres intérêts, et non pas pour défendre le bien-être des consommateurs. Mais qu’en est-il de ces derniers ? Profitent-ils vraiment des vagues de répressions qui s’amorcent un peu partout en Occident ? Est-ce que la défense à tout crin des sacro-saints copyrights (droits d’auteurs sur une oeuvre) est bénéfique pour l’utilisateur final ?

Le but d’une loi est principalement de défendre le plus faible, subsidiairement défendre des valeurs communes. Généralement, défendre le plus faible fait partie des valeurs communes aux Etats de droit, mais cette valeur est placée au-dessus des autres encore; sans droit, c’est la loi du plus fort. On peut donc se demander si le copyright, loi à laquelle se réfèrent les associations industrielles du disque (entre autre), rempli sa fonction première. On parle ici des grandes majors, qui sont lésées par le phénomène du piratage – au contraire des petits indépendants, qui semblent en bénéficier.

Cet article survole successivement quelles sont les menaces proférées et les poursuites entreprises par les associations d’auteurs, faire le point sur la situation suisse, et conclure sur les dérives actuelles les plus patentes de telles poursuites.

Menaces pesant sur les pirates

L’IFPI, association internationale fondée en 1997, regroupe tous les grands noms de la musique : EMI, Sony, Universal, Warner, la liste est longue. L’association a pour objectif de poursuivre les contrevenants au copyright et d’assurer un niveau élevé de protection légal aux droits d’auteurs à travers le monde. Les autres missions sont clairement là pour faire vitrine, tant il est vrai que le site web de l’IFPI ne parle que de mesures et nouvelles liées à l’anti-piratage. L’IFPI est un lobby comme un autre, peut-être moins visible que la RIAA pour l’instant, mais cela ne semble temporaire.

En effet, l’IFPI a décidé de se lancer, à l’image de sa consoeur étasunienne (qui les « bonnes » semaines poursuit plusieurs centaines de pirates), dans l’action en justice massive. La quantité des plaintes (2’100) et des pays visés (5 nouveaux : Suède, Suisse, Argentine, Hong Kong, Singapour) a été placée à un niveau élevé : c’est 155% du total des plaintes déjà déposées en un peu plus d’une année qui sont déposées en un seul mouvement. Il suffit d’imaginer le temps des cadres, le salaire des avocats, le travail de gestion qui vont être nécessaire pour coordonner une action de cette ampleur pour rapidement comprendre que le but n’est pas de rentrer dans les frais, mais de faire peur. Pas une nouveauté dans le domaine du peer-to-peer (« p2p », littéralement, « d’égal à égal ») dans le fond, bien que la forme (action massive internationalement coordonnée) soit elle nouvelle.

A noter toutefois que ces chiffres sont sujet à caution; si la politique de la terreur est pratique courante dans le P2P, l’effet d’annonce obtenu par la seule mention de chiffres aussi conséquents peut faire partie d’une stratégie recherchée, se suffisant à elle seule.

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Le journal Libération mentionnait [1] que

Selon des estimations prudentes, plus de 200 millions de gens autour du monde téléchargent de la musique, des films, des émissions télé, des jeux vidéo. La musique, à elle seule, comptabilise plus d’un milliard de téléchargements par semaine […]

Dans le même temps, l’industrie musicale se plaît à annoncer des pertes, des manques à gagner faramineux : baisse des ventes de CD à hauteur de 22% sur 5 ans (pour l’Allemagne, ce serait même 50% pour le secteur audio !). Mais là où cette position ne fonctionne plus, c’est que ce ne sont que les prix (relatifs) qui déclinent, et non pas le volume des ventes.

De deux choses l’une : soit le secteur musical connaît une phase d’expansion ahurissante, une croissance tellement élevée qu’elle permet de compenser les estimations « prudentes » de Libération et catastrophiques de l’IFPI, soit les associations de droits d’auteurs mentent effrontément. Cette dernière possibilité est renforcée par les méthode de communication des majors : rien n’a jamais filtré sur les méthodes de calcul sur le manque à gagner. L’opacité semble cultivée au niveau d’art, et dans le doute la seule opération envisageable pour répondre à de tels chiffres est « 1 album téléchargé = 1 album perdu ». Nul besoin de s’étendre sur l’absurdité d’une telle hypothèse, et pourtant, on ne voit pas quel autre raisonnement ont pu appliquer les majors pour obtenir leurs résultats.

Un troisième éventualité, savant mélange des deux précédentes, consisterait à hypothétiser que les lobbies phonographiques tronquent les chiffres, pour présenter ce qui les arrange, tout en connaissant une croissance dans certains secteurs spécialisés de l’industrie. C’est ce que laisse penser un article du Monde [2], présentant un situation bien particulière de ce secteur : baisse des prix, hausse du volume des ventes de CD, hausse des ventes (volume et prix) de la musique en ligne.

Tout ceci ne serait qu’un stratagème ?

Les moyens de poursuite judiciaire en Suisse

L’IFPI annonce qu’elle commence le travail de récolte de données sur les pirates suisses. Les futures poursuites ne sont que « prévues dans un proche avenir »; il est évident qu’on est totalement dans une logique de faire peur pour l’instant. Mais si l’IFPI continue, quels seront ses moyens ?

En Suisse, le droit d’auteur (loi de 1992) est suffisament souple pour s’adapter aux nouvelles technologies, comme le précité P2P, puisqu’est prévu à la lettre h de l’art. 67 que (italiques ajoutés) :

Sur plainte du lésé, sera puni de l’emprisonnement pour un an au plus ou de l’amende quiconque aura, intentionnellement et sans droit:

h. diffusé une oeuvre par la radio, la télévision ou des moyens analogues, soit par voie hertzienne, soit par câble ou autres conducteurs ou l’aura retransmise par des moyens techniques dont l’exploitation ne relève pas de l’organisme diffuseur d’origine;

Si la loi prévoit également des restrictions au droit d’auteur (utilisation dans le cercle privé, ainsi que – tout comme en France – le droit à une copie privée), elle semble a priori suffisante en la matière pour que les actions intentées (ou sur le point de l’être) par l’IFPI aboutissent.

Mais la jurisprudence est muette; le Tribunal fédéral suisse [3] ne s’est encore jamais penché sur la question, aussi cette interprétation de la loi fédéral reste assez risquée, et très personnelle. La situation va peut-être changer très vite, mais peut-être pas; si l’IFPI clame « rassembler des informations », atteindre le stade des poursuites pourrait encore nécessiter des mois, peut-être des années. D’autant plus que ce type de procédure n’est pas – pour l’instant – courant en Suisse; l’incertitude règne en maîtresse sur un montagneux pays, encore en retard – pour le bonheur des téléchargeurs – sur les autres pays européens.

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En somme, le droit est du côté de l’association internationale. En intentant ses poursuite, l’IFPI ne va faire que valoir le cadre légal institué par le législateur. Mais on ne peut pas dire que le droit, ici, serve le plus faible.

Là où le bât blesse : poursuite des moyens d’échange

D’autre part, non contente de poursuivre les uploaders pirates [4], l’IFPI (tout comme la RIAA avant elle) tente de criminaliser le moyen d’échange lui-même : les réseaux de P2P. Et là, c’est encore moins acceptable : j’utilise moi-même, par exemple, pour mettre à disposition de miliers d’utilisateurs francophones des fichiers légaux, le réseau fastrack (utilisé par e-mule et e-donkey). Cela m’a permit de partager sur deux ans plus de 700 GB de données destinées à un simulateur spatial, Celestia; suis-je un criminel pour autant ?

On ne poursuit pas les constructeurs de voitures parce que des accidents se produisent; ce sont les fauteurs de troubles qui sont inquiétés. Certes, le nombre de pirates tombant sous le coup de telles poursuites est gigantesque; mais sous prétexte d’être confronté à une tâche tenant du nettoyage des écuries d’augias, les associations d’auteurs ne devraient pas être autorisées à empiéter sur notre liberté individuelle. Garantir les droits d’entreprises aux détriments de droits individuels, voilà qui devrait nous révolter. Plus encore, on considérerait comme absurde la poursuite d’un fabriquant d’armes de poing; pourtant, la seule fonction de celles-ci consiste à tuer. L’échange par P2P n’a pas – loin s’en faut – pour seule fonction le piratage, et on devrait le criminaliser ? Les rouages sont déjà activés, à en croire le journal 01.net [5] :

Au début du mois, la plate-forme de peer-to-peer Grokster était reconnue par la Cour suprême des Etats-Unis (ndlr: affaire MGM versus Grokster [6] ) responsable des échanges de fichiers illégaux, pas seulement les utilisateurs. Ce genre de décision ayant force de loi outre-Atlantique, l’éditeur de Grokster a renoncé à distribuer son logiciel.

Ridicule, lorsqu’on sait que certains éditeurs de logiciels libres (open source) utilisent des réseaux de P2P pour répandre les-dits logiciels : pour n’en citer que l’un des plus célèbres, la distribution Mandriva de GNU/Linux utilise le réseau Bittorent pour pérenniser et rationnaliser sa bande passante. Autre preuve s’il en est besoin de l’utilité de cette technologie.

Si on s’éloigne encore plus de l’idéal originiel du droit, on risque d’être astreint à réécrire l’histoire de David et Goliath.

Pour aller plus loin : un site primordial dans la scène francophone du peer-to-peer, précurseur de la réflexion sur cette méthode d’échange, Ratiatum.

Références

  1. Marie Lechner, « The Scene » parano en réseau, 9 septembre 2005[]
  2. Ventes en hausse et prix en baisse pour l’industrie du disque, 6 septembre 2005, lien[]
  3. La plus haute instance de recours suisse.[]
  4. Il semble que d’après la loi fédérale sur le droit d’auteur, seul le fait de donner accès à ses ressources serait punissable; télécharger une musique ne semble pas punissable. Cette position est également celle partagée par l’IFPI.[]
  5. Arnaud Devillard, La responsabilité des éditeurs de P2P à l’étude en France, 14 novembre 2005[]
  6. Metro-Goldwyn-Mayer Studios, Inc. v. Grokster, Ltd., No.
    04-480, 2005 U.S. LEXIS 5212, 27 juin 2005. Analyses en anglais disponibles ici et .[]
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Cette publication a un commentaire

  1. jcv

    Mise-à-jour : histoire d’illustrer les propos avancés sur l’extrême hypocrisie des maisons de disques, un article du Los Angeles Times relate que le chiffre d’affaire de la major du disque Warner Group a augmenté de 13% sur les 9 premiers mois 2005 (pour un total de plus de $900 mio).

    Il y a péril en la demeure, la preuve est faite; haro sur les libertés individuelles, il faut rapidement empêcher les pirates de mettre à bas l’industrie du disque.

    La France s’apprête à voter (éventuellement) une loi sur l’interdiction de toute technologie P2P qui n’embarquerait pas les DRM; manquerait plus que ça, tiens…

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