Cette majorité est la plus jeune et la moins « conservatrice » de toutes celles que nous avons eues depuis 1958. Elle sera facile à mobiliser. Elle n’attend que cela. (…) Mais le volontarisme de M. Sarkozy (…) devra répondre aux attentes qu’il a lui-même suscitées et dont tant de garçons et de filles, interrogés dans la nuit de samedi à dimanche, ont montré combien elles étaient fortes (…) Certains jeunes, même, se laissaient emporter par une sorte de délire psychédélique, qui rappelait les utopies de leurs aînés au cours d’un autre joli mois de mai. C’est là le défi, le redoutable défi, de la ligne sur laquelle Nicolas Sarkozy s’est fait élire.
Source : Libération
Parmi les jeunes, place de la Concorde, dimanche soir, beaucoup expliquaient leur soutien par la foi qu’ils accordaient à la conversion de Nicolas Sarkozy au social et à sa capacité de créer des emplois. Le risque pour le nouveau président est à la mesure de cette promesse dans un pays de plus en plus travaillé par la désespérance du chômage et de sa menace. Que Nicolas Sarkozy tarde à engager des mesures radicales, que les résultats ne soient pas à la hauteur de la demande, et le nouveau président aurait tout simplement été un apprenti sorcier. Il ne serait pas le premier en politique à ne pas tenir ses promesses. […]
Source : l’Humanité
Nicolas Sarkozy l’a emporté notamment pour avoir convaincu les électeurs qu’il serait le meilleur dans le combat contre le chômage et l’exclusion. Tout au long de la campagne, il a entretenu un certain flou sur les armes qu’il utiliserait, sur la stratégie économique et sociale qu’il adopterait. Si l’ambiguïté peut être un outil de séduction, elle ne l’est plus pour l’exercice du pouvoir. Pour engager le changement tant annoncé, le président élu va devoir faire des choix. Ces choix, ils portent sur les équipes qui vont être chargées d’organiser le changement, sur le rythme et l’ampleur de ce changement, sur celui enfin de quelques mesures symboliques fortes.
[…]
Tous ces choix, Nicolas Sarkozy doit maintenant les arrêter en tenant compte des multiples attentes qu’il a contribué à créer au cours de la campagne électorale. Les salariés comptent sur une amélioration de leur fiche de paie. Les chômeurs espèrent qu’« avec Sarkozy, ils vont retrouver un emploi ». Les petits entrepreneurs attendent une réduction de leurs charges et de la paperasserie administrative. Les marchés financiers croient à une réduction déterminée des déficits publics, les dirigeants allemands à une volonté européenne intacte. Ce sont là des ambitions souvent contradictoires. Des choix vont s’imposer. La clarification tant attendue pendant la campagne électorale devrait maintenant intervenir rapidement.
Source : le Monde
En réalité, j’ai remplacé le nom de « Chirac » par celui de « Sarkozy » dans les articles ci-dessus, qui remontent tous à 1995, une période où l’arrivée de la droite au pouvoir, après 14 ans d’une gauche pourtant régulièrement hantée – cohabitée – par son ennemie d’opposition.
L’effet de cet exercice n’est pas démontrer que rien ne change. Depuis 1995, les extrêmes se sont effondrés, et l’idéologie politique avec. Un centre fort a émergé, et l’avenir démontrera quelle est sa capacité à s’inscrire dans la durée. D’autre part, la participation a atteint des records, bien que le débat ait été particulièrement inconsistant. Et tout n’est pas encore joué, car il reste les futures législatives de juin.
A contrario, la situation du chômage tient toujours de la pandémie, la « fracture sociale » n’a pas avancé d’un iota, et la France pèse bien moins dans la balance des relations internationales. La mondialisation, et l’émergence des géants indiens et chinois, poussant à l’union des plus petits pays, est plus forte que jamais. Les vibrants appels aux USA pour qu’ils respectent le protocole de Kyoto, au demeurant encourageants, ne peuvent masquer le fait que l’UMP a autant d’expérience de l’écologie qu’en 1995. Les réponses de Sarkozy, lors du débat l’ayant opposé à Royal, sont là pour convaincre les plus sceptiques.
L’arrivée de Chirac, après 14 ans de mitterandisme, avait soulevé l’enthousiasme de millions de Français. « Enfin un politique de droite », disait-on. Pourquoi l’arrivée de Sarkozy, après 12 ans (plutôt 7, pour être juste) de chiraquisme, provoque exactement la même réaction ? Pourquoi, des Français avides de changement, ont-ils reconduits l’intriguant Sarkozy, que d’aucuns estimaient trop dépourvu de grandeur, de charisme pour enfiler le costume de président, il y a 2 ans à peine ? Que s’est-il passé pour que l’animal politique, qui n’a jamais renié le bilan – pourtant objectivement désastreux – des équipes Raffarin-Villepin, n’ait jamais été associé au gouvernement ? Un état de grâce que rien, absolument rien n’a jamais pu entacher.
Il a su jouer de son expérience, tout en faisant oublier quel était son bilan. Ce tour de force, il ne le doit qu’à l’image d’autorité qu’il a toujours voulu faire sienne. Cette image, qu’il n’a eu de cesse – comme les autres hommes/femmes politique – de redéfinir en cours de campagne, ne suffira pourtant pas. Le temps des conseillers en image est passé, voici venir le temps des conseillers en action. Le pragmatisme, mis en avant plus que chez aucun autre candidat, devra être à l’ordre du jour. Le droit et l’ordre, si soutenu par les intellectuels français d’aujourd’hui, auront une place de choix parmi les réformes mises en place par des politiciens si critiques à l’égard de mai 68.
Il reste à voir si les Français ne vont pas se réveiller avec une gueule de bois, frêle écho non pas de discours de 1995 en France, mais de paroles lancées en 2001 aux USA. Une gueule de bois dont on se sort seulement aujourd’hui, 6 ans plus tard. Bien moins atlantiste qu’on veut bien le laisser croire, il faudrait cesser de croire en France (ou en Europe) que tout ce qui se produit aux USA n’a pas sa place sur le vieux contient, notre petite péninsule asiatique. Parce que s’il y a bien quelque chose en 2007 qui soit rigoureusement identique à 1995, c’est bien les espoirs autour d’un homme nouveau, qui pourtant a déjà exercé de hautes fonctions exécutives (et qui n’a rien, tout comme Chirac en son temps, de nouveau). L’homme n’est pas un énarque, au contraire de ses prédécesseurs, mais les différences s’arrêtent là.
Et d’en tirer une conséquence. Me voilà revêtir les atours de Cassandre, pour prédire ce qui me semble une évidence : sans réforme institutionnelle, si Sarkozy met en oeuvre son projet de société, la casse va être énorme en Hexagone. Si rien n’est fait pour que les minorités puissent prendre part aux processus décisionnels, si la méthode quasi-monarchique qui a été la sienne (et celle d’autres ministres avant lui, y compris de gauche) reste d’actualité, alors les émeutes que connaît la France depuis 1995 n’auront été qu’un modeste amuse-gueule, si rikiki que Chirac n’aurait jamais osé servir à l’un de ses fastueux banquet.
Un côté appréciable, c’est que les dés en sont maintenant jetés, et que l’on va enfin pouvoir passer à autre chose, reprendre le cours normal des activités, et parler d’autre choses que d’une France qui, décidément, a bien changé à mes yeux. L’omniprésence médiatique de cette affaire est bel et bien terminée, et c’est vraiment une bonne nouvelle.
En fait, en lisant ton truc sur l’infalsifiabilité des thèses sarkozinesques, ce qui m’a frappé c’est que l’adhésion à Sarkozy tiens d’un paradigme, ou plutôt d’une croyance. Un mélange de ce qu’on croit que le monde est : les gens sont des feignants, et ne vient pas me dire le contraire avec des chiffres, c’est comme ça que je vois le monde.
En gros, 53,5 % ont voté pour Sako non pas parce qu’ils ont vu qu’il était (in)efficace, mais bien parce qu’ils croient qu’ils le sera. On est pas loin d’une adhésion quasi-religieuse.
Je n’ai jamais rencontré durant ma vie quelqu’un de moins de 30 ans et de droite, et qui ne soit pas engagé politiquement à droite par tradition familiale (le père, en général). Remarque, je suis encore un peu jeune, avec une vie (j’espère) pleine de surprises, ça viendra peut-être.
Si à 25 ans on est à droite, c’est qu’on a un patrimoine à défendre, non ? 🙂
Honnêtement, pas grand chose de très intéressant à rapporter, mais simplement, en buvant un coup avec des amis d’amis, j’ai pu me rendre compte comment, parmi des gens assez peu politisés, mais qui s’identifient peu ou prou comme étant « de gauche », la rhétorique ambiante avait bien pu faire son travail, et avait été parfaitement intégrée… Une discussion interminable (et au final ne menant pas à grand chose), avec toujours les mêmes arguments : le rmi, il y en a qui abusent, il n’y a aucune raison que les autres payent pour ceux qui ne foutent rien et rongent la société de l’intérieur, on travaille pour que des fainéants puissent ne rien faire, etc… etc…
Si à 25 ans on est pas de gauche, que devient-on à 50? 😉
Bref, ce qui m’a le plus marqué (et ça rejoins un peu le billet sur sarko), c’est la quasi impossibilité d’avoir un discours -un tant soit peu- rationnel, d’argumenter, ni même d’exposer et de confronter des convictions. Ca ressemblait plutôt à de la répétition d’un texte unique et anonyme déjà entendu mille fois et qui a pour lui la force du lieu commun… Ca m’a vaguement fait penser à ces discussions que l’on peut avoir lors de repas de famille, sur les sujets à éviter, genre avortement, peine de mort, et qui sont le lieu de tous les aveuglements…
voili voilo, l’expérience du lieu commun quoi. Ce n’est pas tant que je n’y sois pas habitué (chez les autres comme chez moi), mais lorsque ça s’insère directement dans un contexte politique comme notre actualité présidentielle, ça fait une drôle de résonnance … 😉
Dis-m’en plus, raconte en détails…
oui, j’ai entendu parler de la pédophilie génétique, et lu l’intégralité des commentaires d’Onfray sur la question.Bien que le texte sur son blog soit éclairant par certains côtés sur la personnalité de Sarkozy, j’ai vraiment du mal avec lui et un égo qui me semble définitivement hypertrophié. Notamment le passage que tu cites, il se met un peu trop en valeur à mon goût… « Je me sens soudain Sénèque assis dans le salon de Néron… » hmmm, pas sûr que cet homme ait jeté un oeil sur Pascal et « l’égo haïssable » qu’il pointait du doigt…
A tout le moins, on en apprend autant sur Sarkozy que sur Michel Onfray, par devers-lui… (il faut avoir lu l’entretient dans le bien mal nommé « philosophie Magazine » -l’équivalent à la philosophie de ce que peut-être « psychologie magazine » à la psychologie, ou l’aspartam au sucre-, et voir comment la rencontre entre lui et le futur-nouveau président vire au combat de petit coq. L’un tout de virilité et de jugement à l’emporte pièce habillé -Sarkozy tel qu’on le connaît et tel que décrit sur le blog d’Onfray-, et l’autre des atours parfaits du petit philosophe, avec la suffisance qui va avec… Bref, l’un comme l’autre exactement dans le rôle que l’on attendait d’eux, remplissant parfaitement la fonction qui lui est assigné, tout en croyant la déborder…
Oui, tout cela fait bien flipper, et encore plus quand on prend conscience, comme cela m’est encore arrivé pas plus tard qu’hier soir, qu’un grand nombre de personnes a parfaitement gobé la rhétorique du petit nerveux, et ne faisant que remplacer la réflexion par le bavardage, le discours rationnel par des réponses toutes faites…
Bref, j’étais amer à propos de cette élection, je le suis encore plus en me confrontant à la réalité des quelques 53% d’électeurs…
@ Louis : merci, j’ai trouvé très intéressant ta vision du débat qui a opposé les deux ténors sans voix. Je crois que la Suisse partage avec le Québec une franche déception du niveau des débats. Je n’irai pas jusqu’à dire que pour un Suisse le débat français était bon (faut pas pousser mémé dans les orties, entre Dame Royal qui proposait de raccompagner tous les fonctionnaires de police, et Sieur Sarkozy qui ne connaît rien à l’écologie, le tout enrobé de foisons de fautes de français, c’était pas très haut). Mais le Québec partage, je crois, avec la Suisse la médiocrité de ses élites politiques. Je me permettrai de consulter ton site web, tant il est vrai que je ne connais rien à la politique québecoise en dehors de ses aspirations à l’indépendance.
@ Ju : Je crois qu’avant d’aller casser des bagnoles, il va falloir se décider à aller casser la gueule des opportunistes socialo. Le PS a essayé de réformer pas mal de choses depuis 2002, mais les querelles et les ambitions personnelles font échouer toute bonne volonté. Si pour Mitterrand, la France avait la droite la plus bête du monde, force est de constater qu’actuellement, et au vu de la prestation calamiteuse du PS, la France a la gauche la plus bête du monde.
Tu as forcément entendu parler de la « pédophilie génétique » qui est sortie lors d’une interview réalisée par Michel Onfray. Mais en as-tu lu l’intégralité ? C’est forcément très partisan, mais très jouissif par moment. Je trouve qu’Onfray en rajoute des tonnes, se laisse emporter par moment par le plaisir de faire des phrases (passage sur l’animalité de Sarko). N’empêche que ça se laisse lire.
Cela dit, je ne connaît d’Onfray que ses sorties médiatiques et non ses écrits, je ne sais pas ce que vaut réellement « l’hédoniste ». Je me suis dis que ça pourrait t’intéresser, au vu de ta prédiction et l’infalsification du discours sarkozien.
‘tain, je sais qu’il faut garder le sens des proportions. Sarko n’est pas Hitler. Les Français qui ont votés pour le candidat de l’UMP n’ont rien d’idolâtres du fascisme brun, c’est souvent même le contraire. Pourtant, je ne peux m’empêcher de tracer une énorme quantité de parallèles avec un certain état d’esprit qui rappelle des jours plus sombres, où toute une population appelait de ses voeux un homme providentiel, qui rétablirait l’ordre et la justice. Ce goût irrépressible et irraisonné pour la discipline sans réfléchir ce qu’est vraiment cette discipline, c’est Adorno et la soumission autoritaire, où des désespérés appellent en bêlant un chef à poigne.
Incompréhensible, un vrai cauchemar… Et quand on voyait le tête des « éléphants » du ps à la seconde même des résultats (connus par tout un chacun depuis 6h de l’aprem), crachant dans la soupe afin de préparer leur propre futur petit royaume, ou bien faisant de l’oeil à l’adversaire afin de quémander les miettes du festin, et le tout quand on voit le danger que représente Sarkozy… C’est à n’y rien comprendre… Et cela dessine une vraie inquiétude, quand on sait l’égard qu’a le nouveau président pour toute forme d’opposition..
Il y a vraiment de quoi être très inquiet.
C’est un jour très sombre pour la France. L’élection de Sarkozy signifie le rejet des valeurs progressistes françaises et l’adoption du néolibéralisme à l’américaine, avec toutes les conséquences négatives à anticiper.
J’ai écrit un texte à ce sujet sur mon blogue, avec une perspective québécoise, si cela vous intéresse.
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