Le 7ème art

Le chasseur de dictateur – the dictator hunter

Reed Brody n’est assurément pas un homme comme les autres. Pourquoi ? On le surnomme le « chasseur de dictateurs ». Porte-parole de Human Rights Watch (HRW), il a traqué des années durant Hissène Habré, ancien dictateur tchadien. Pour le troisième jour du 6ème festival du film sur les droits humains, la moitié de la journée lui a été directement ou indirectement consacrée. Deux films ont ainsi été proposés, suivis de débats.

Le premier film, qui lui est nommément consacré, the dictator hunter, a un côté hollywoodien dérangeant. Assez peu de place est donnée aux victimes de Habré, et Brody y fait l’objet d’un culte quelque peu dérangeant pour un homme qui se veut avant tout un outil actionné par la défense. On y découvre comment il a mis sa vie personnelle de côté des années durant et quelle souffrance anime les victimes et leurs proches de cette dictature longue de 8 ans (de 1982 à 1990). Un travail de longue haleine, qu’il poursuit malgré les déconvenues uniquement pour éviter l’oubli. Car depuis plusieurs années, l’ancien président a trouvé refuge au Sénégal, dans une confortable villa d’où il peut toiser sans remords ses anciens citoyens venus lui demander de rendre des comptes.

Comme l’explique Brady, « tuez une personne, et vous êtes accusé de meurtre. Tuez-en 40, et vous êtes interné dans un asile. Déchaînez la violence et assassinez-en 40’000, et vous voilà à l’abri de représailles ». Jusqu’à Brady, aucun ancien dirigeant africain n’avait été traduit en justice. L’impunité des crimes dictatoriaux semble totale; le seul dirigeant qui aurait pu faire l’objet d’une accusation, Slobodan Milosevic, est mort dans les geôles de La Haye. Le courage de cet homme pourrait faire basculer cette coutume : l’Union africaine (UA) a décidé, il y a un an et demi, sous la pression des activistes des droits de l’homme de juger son ancien membre au Sénégal. Au Tchad, le procès n’aurait pu avoir lieu. Et établir le tribunal en Belgique, pays d’où a été activée la procédure à l’origine, serait politiquement problématique, puisque les dirigeants africains actuels ont le sentiment qu’il s’agit d’une affaire africaine. On préfère laver le linge sale en famille.

Malgré cette fantastique réussite, Hissène Habré n’a pas été jugé en 18 mois. L’instruction n’a même pas démarrée. Des signaux contradictoires sont émis pas ceux-là même qu’hier, s’engageaient personnellement à faire triompher la justice. Idriss Déby, « président » depuis sa chute, perçoit le risque qu’il peut y avoir à demander aux dictateurs répondre de leurs actes. Et c’est là le coeur du problème : comment juger un dictateur, sur un continent où la démocratie est un voeux pieu ?
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La montée du populisme en Europe : la gauche s’autocongratule

Pour ouvrir le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), et prolongeant la diffusion du film La machine populiste (Jean-Pierre Krief, 2007), un débat était organisé ce vendredi 7 mars autour de la montée des populismes sur le Vieux continent. Une semaine de films consacrés aux droits de l’homme, le festival est résolument engagé, et contient une affiche des plus prometteuses : Carmen Castillo, Oskana Chelysheva, Aye Chang Naing, pour ne présenter que la devanture. Alléchant, car la qualité est épaulée par la quantité de courts, moyens et longs métrages, de films et de documentaires. On se dit, au moins sur le papier, qu’on va apprendre bien des choses. Mais est-ce le cas ?

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Ca commence mal. Le documentaire La machine populiste est un affront fait à l’intelligence des spectateurs. Un pamphlet sans créativité qui, sous prétexte de dénoncer les idées populistes de l’extrême droite, a une forme insupportable et un fond inexistant. Durant 52 minutes, on attend un argument. Une enquête. Une information. Autre chose que des gros plans suggestifs et subjectifs des leaders honnis par une assemblée soucieuse des droits humains, des images baignant dans une musique suffisamment noire pour bien faire comprendre au spectateur que c’est le mal incarné qui est à l’écran. Ralentis, discours coupés à la seconde près, aucun recul, on se croirait pris dans la tourmente d’un quelconque film de propagande de l’ancienne RDA. Le rideau se ferme, le calvaire prend fin, la prise d’otage est terminée : le public est enfin libre de penser ce qu’il veut, la chape de plomb se lève. Le sens critique refait surface.
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Rear window

Get a life – Fenêtre sur cour, une critique des real TV avant l’heure

Fenêtre sur cour, ou comment nous braquons les fenêtres de l’âme sur la vie d’autrui. Hitchcock, presque 50 ans avant les émissions de real TV, explore notre goût pour le voyeurisme. Un régal pour les yeux, tant le film s’est bonifié (et ce n’est pas toujours le cas pour les films du maître du suspense) avec les années. Ce n’est pas trahir l’oeuvre que de chercher à voir en elle une critique de notre façon de vivre, de la distance qui s’établissait déjà entre notre ego et l’alter, lorsque les villes avec leurs immeubles commençaient à pousser l’individu à s’isoler de l’autre, à oublier d’entretenir des relations réelles avec un monde réel. La récrimination de la voisine qui, ayant perdu son chat, est la clé de voûte du long métrage : « Des voisins devraient s’entraider, se parler, et non s’ignorer ». Dans fenêtre sur cour, tous s’épient, mais plus personne ne se parle. Or, dans la real TV, que fait-on d’autre que regarder des voisins, à qui on ne parle pas ?

L. B. Jefferies (James Stewart) est un photographe qui rêve d’aventure. Pourtant, à voir le plaisir qu’il prend à observer ses voisins, on se demande si la vie à la dure qu’il décrit à son amie, Lisa Fremont (Grace Kelly), n’est pas une pure invention de son esprit. Il aime regarder à un tel point se nouer des drames dans les appartements qui l’entourent, qu’il embarque tout son entourage dans sa coupable activité : son infirmière, son amie, son ami détective, tous finissent par le suivre dans son « obsession », comme il la dénomme lui-même. Bien que ses amis soient très critiques, voire dédaigneux, ils finissent par succomber à ce travers, avides de nouvelles de la voisine solitaire, de l’artiste mélancolique, du couple au ménage qui bat de l’aile. Jeffries vit à travers les autres, s’oublie, cloué par une jambe dans le plâtre à la maison; il passe ses journées à épier la grande cour jouxtant plusieurs immeubles, et les fenêtres qui l’entourent, vivant par procuration toute une série d’aventures rocambolesques, sans se déplacer. Jusqu’à débusquer, envers et contre tout, que l’un des locataires de l’immeuble d’en face a tué sa femme.

Si bien évidemment, il est hasardeux de faire expliquer à un film de 1954 ce que sera la real TV à la fin des années 1990, on peut s’avancer sans trop de risques que les comportements humains qui allaient y mener existaient bien avant son avènement. Hitchcock prend un malin plaisir, lui-même voyeur invétéré, lui-même amateur d’histoires qui tournent mal, à décortiquer le plaisir malsain que l’on peut prendre à suivre le quotidien de parfaits inconnus. Un plaisir d’autant plus condamnable que, au fond de nous, nous espérons assister à l’extraordinaire, à la violence, au sexe : cette scène truculente où Grace Kelly, pensant qu’il ne s’est rien passé chez le voisin observé, admet de manière désabusée qu’ils auraient souhaités être sur une affaire de meurtre, est d’une justesse dérangeante. Etre déçu que l’homme espionné ne soit pas un assassin… et reconnaître à quel degré on peut confondre fantasme et réalité. Serions-nous tous fous ?
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Rich and strange

Un homme égoïste, Fred, s'ennuie dans sa vie monotone. Heureusement pour lui, le voilà qui hérite d'un paquet d'argent, ce qui lui permettra de voir du monde. La trame est simple, tout comme le film. Filmé sans beaucoup d'imagination, les scènes se succèdent dans une longueur habituelle chez Hitchcock; sauf que là, on trouve le temps long, on est peu intéressé par les découvertes (Paulo) cohelosques du héros. Il va jusqu'au bout du monde, se détachant progressivement de sa vie…

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Spellbound

Une maison de fou pour présenter la psychiatrie; Hitchcock, qui s'intéresse comme un damné à cette discipline encore relativement peu connue du grand public à cette époque, et construit le film brique après brique telle une séance sur le divan. La symbolique est une merveille : de la femme débauchée (la sublissime Rhonda Fleming), jouant aux jeux de cartes et nymphomane, il passe à la psychorigide (Ingrid Bergmann), incapable d'aimer, qui est la psychiatre. L'une et l'autre sont opposées dès…

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Saikaku ichidai onna

50 ans avant Dancer in the Dark, Kenji Mizoguchi osait un portrait de femme dévastée à qui la vie n'épargne aucune horreur. Mais là où Lars Von Trier s'arrête, trouvant dans la mort le facile échappatoire aux souffrances endurées, Mizoguchi va plus loin, explore avec férocité toutes les facettes du désespoir féminin dans Saikaku ichidai onna (La vie de O Haru, femme galante, mais les traductions de ce titre diffèrent parfois). Ce film, sans concession ni fioriture, recule paradoxalement là…

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Big Fish

Dans tout mensonge, il existe une part de vérité.

Jouons franc jeu : il m’est totalement impossible d’être calme, objectif ou dans un état mental serein requis pour l’écriture d’un commentaire cinématographique qui se voudrait neutre sur Tim Burton. Complètement déjanté, il fait partie de cette clique de réalisateurs qui, depuis Eisenstein, n’ont cessés de développer le vocabulaire et la grammaire du 7ème art. Il a compris, aux côté des Fritz Lang, Kubrick ou Welles, que le cinéma n’est pas simplement un montage de photographies superposées les unes sur les autres. Il existe un cadrage, oui, mais les interstices calés entre les scènes sont des univers que « quelques uns » ne savent exploiter; Burton fait partie des « quelques autres », raison pour laquelle il restera, sans doute, parmi les quelques 50 ou 100 réalisateurs qui auront marqués le XXème siècle, le siècle du cinéma. Souvent subversif, anti-conventionnel, sensible, il fait voyager un spectateur qui oublie à chaque fois combien il va cruellement souffrir, lors de l’immanquable retour à la réalité de fin de projection; le monde semble si monochrome, en comparaison, et manque tellement de merveilleux.
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Idiocracy

Lorsque le réalisateur de Beavis & Butt-head - série animée culte de MTV - se lance dans la réalisation de son deuxième film (après Office Space), on se demande si ce diable de Mike Judge va enfin s'affranchir définitivement du format court. On s'interroge sur les capacités à dépasser le pipi-caca du cinéaste. Le résultat est plutôt mitigé, à l'image de sa série phare qui, raillant la stupidité humaine et médiatique, n'en passait pas moins sur la chaîne teenager MTV.…

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