Simon Bolivar
Le Libérateur
Aucun titre ne fut autant mérité que celui de “Libérateur”. Bolivar dirigea les luttes qui devaient aboutir à l’émancipation de cinq nations, à savoir le Venezuela, la Colombie l’Équateur, le Pérou et la Bolivie. Il unifia sous son commandement des armées disparates, mal équipées, transformant des mouvements hétéroclites en une force suffisamment unie pour vaincre un ennemi souvent supérieur.
Il comprit mieux que d’autres chefs que la victoire dépendait d’une hase sociale aussi large que possible. Durant des années, la cause patriotique était demeurée l’affaire de minorités blanches. Elle n’avait rencontré chez les masses qu’indifférence ou hostilité. Il fallait démontrer au peuple que l’armée républicaine leur ouvrait un avenir meilleur.
Bolivar rechercha aussi des appuis étrangers. Si la Grande-Bretagne ne se montra pas à la hauteur des espoirs que les insurgés avaient mis en elle, plus de 6 000 volontaires dont beaucoup d’officiers et de vétérans des guerres napoléoniennes répondirent à l’appel de l’agent vénézuélien à Londres. Ces renforts allaient contribuer grandement à conférer à la guerre, dès 1818, son cours irréversible. Il fallut néanmoins six autres années pour compléter la libération de l’Amérique du Sud.
Il était aussi abolitionniste et Il prêcha par l’exemple, libérant ses propres esclaves, d’abord contre la promesse de s’enrôler, puis sans condition aucune. Il exhorta tous les planteurs à faire de même, considérant comme “une folie qu’une révolution pour la liberté essaie de préserver l’esclavage”
Au niveau philosophique il fut assurément un fils des lumières: l’égalité, la liberté, la souveraineté populaire, le progrès, le bonheur constituaient ses maîtres mots. Il emprunta des idées pour les fondre dans une pensée originale. A la différence de la plupart de ses compatriotes libéraux, il ne croyait pas à la transposition de modèles. Il recherchait un système de gouvernement adapté aux réalités locales, capable d’assurer le maximum de liberté dans la stabilité et le progrès. Simultanément il aspirait à transformer les structures héritées du colonialisme.
Il instaura un le gouvernement fort comme barrage contre l’anarchie, c’était également un moyen de rendre la liberté et l’égalité effectives.
L’État de Bolivar reposait sur le droit. Le Libérateur fut aussi un créateur de normes juridiques en matière de droit constitutionnel, de droit administratif et de droit public international. Les lois doivent s’appliquer “religieusement”. Le pouvoir judiciaire était la garantie la plus efficace des libertés civiques et devait être indépendant. Il avait en outre une vision humanitaire de la justice criminelle. Ses résolutions attestent d’une préoccupation pour la salubrité des cellules et pour que les procès ne traînent pas indûment. La responsabilité criminelle devint personnelle et ne pesa plus comme avant sur la famille. Sur le plan international, il condamna la guerre comme moyen de résoudre les conflits. Il prônait le respect des engagements, de la parole donnée: la bonne foi était à la base de tous les traités.
Certains ont voulu faire de Bolivar un dictateur en parlant d’épisodes isolés de leur contexte global. La constitution de Bolivie comportait par exemple une présidence à vie. On était cependant loin de l’autocratie d’un Duvalier ou d’un Stroessner. Chaque fois que Bolivar assuma des pouvoirs dictatoriaux (au sens de la Rome antique), ce fut dans un contexte de crise grave, à la demande de corps représentatifs, pour une courte période, jamais à des fins répressives et encore moins personnelles. “Le mécontentement du peuple ne se combat pas par la force.” Les vrais dictateurs surent exploiter le précédent bolivarien pour légitimer leur tyrannie. Ils se firent même les grands prêtres du culte à Bolivar au prix d’un travestissement de la vérité.
Le nationalisme de Bolivar ne fut jamais chauvin. Il avait une vision englobante, non ethnique de la nation. Un critère politique la définissait: tous ceux qui acceptent la révolution, y compris les péninsulaires et les étrangers.
Bien qu’il voua à sa “patrie” une piété filiale, Bolivar le Vénézuélien fut américain. “Les Américains ne devraient avoir qu’une seule patrie”, écrivait-il en 1818 à un patriote argentin. Il se fit le champion de l’intégration des jeunes nations. Aucun ne fut plus conscient des particularismes. Mais l’intégration lui paraissait un objectif prioritaire. Il y voyait un remède contre l’instabilité interne, un rempart contre les appétits extérieurs et un exemple de fraternité universelle; L’histoire a donné raison à sa conception géopolitique de l’unité. La balkanisation de l’Amérique latine au XXe siècle donna prise aux impérialismes. L’idéal intégrationniste fut réalisé par et au profit des États-Unis, ce voisin que Bolivar admirait, mais dont il se méfiait énormément. Après un siècle de panaméricanisme, il semble bien que l’Amérique latine soit plus proche de comprendre la portée du projet original, celui d’une “société de nations soeurs”.
Ce n’est pas à sacrifier à une formule de rhétorique que d’affirmer que Bolivar eut contre lui d’être en avance sur son temps. Cet homme, parmi les plus riches du Venezuela, se révéla bien au-dessus de sa classe par ses connaissances, son habileté, son jugement et sa générosité. Homme complexe, passionné, d’une énergie extraordinaire, il maria à merveille l’action et la réflexion, le glaive et la plume. Idéaliste et rêveur, il savait aussi être d’une lucidité désarmante envers les personnes et les situations, Bolivar était l’un de ces titans que les sociétés se créent à certains moments clés de leur trajectoire et dont elles ne savent pas exploiter sur le coup tous les talents.
Extraits tiré de : Simon Bolivar (1783-1830). Le bâtisseur de républiques, le prophète et le visionnaire Claude Morin. Article paru dans Le Soleil, Québec, 2 et 3 novembre 1983, A-17 et A-11.
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