Le problème éthique

La Ley de Justicia y Paz décrite dans l’article précédent pose un problème éthique sérieux. On a vu qu’elle accorde une amnistie partielle à  des combattants qui ont perpétré les pires crimes imaginables. La logique voudrait que l’on juge ces monstres et qu’après avoir révélé la vérité ils soient condamnés à  des peines dignes de ce nom. Pour cela il existe au niveau national comme international plusieurs possibilités. Les tribunaux mis en place après certains conflits nous donnent quelques exemples: le tribunal Nuremberg, celui du Rwanda ou de Yougoslavie. Ces tribunaux ont l’avantage de condamner des coupables, ils ont aussi l’avantage de fortifier le droit international, d’envoyer un message fort aux criminels. Cependant dans certains cas on s’est rendu compte qu’ils étaient contre-productifs pour plusieurs raisons: tout d’abord, car ils cherchent des responsabilités et pas forcément la vérité. Dans de nombreux cas la vérité est plus importante que la responsabilité, car elle permet aux victimes de pouvoir continuer à  vivre et de vouloir construire quelque chose d’autre. Un tribunal ne garanti en rien la réconciliation de la population.

L’autre point négatif d’un tribunal est qu’il nécessite une victoire militaire claire, parce qu’il est presque impossible d’imaginer des criminels de guerre rendre les armes en sachant qu’ils vont passer le reste de leur vie en prison.

Tout ceci est vrai pour les tribunaux qu’ils soient nationaux ou internationaux. Dans le cas d’un tribunal national il est nécessaire d’avoir des institutions fortes et à  tendance démocratique, le cas inverse conduirait probablement à  un retour au conflit.

L’alternative qui a été proposée dans de nombreux cas est la création de commissions de vérité. L’Afrique du sud est un exemple mais le Salvador et le Guatemala en sont d’autres. Autant dans le cas sud-africain on peut parler de réussite (même si le processus n’a pas été parfait) autant ce n’est pas le cas au Salvador.

A nouveau les valeurs démocratiques des institutions en place sont importantes, car un gouvernement peut refuser les conclusions de la commission. Ce qui a été le cas au Salvador.

L’ultime solution est l’amnistie. Mais pourquoi amnistier des monstres qui ont enlevé, torturé, massacré… La réponse est “pour la Paix et la Démocratie”. Je sais la paix et la démocratie ont bon dos, surtout ces temps. Mais dans un cas, comme la Colombie, où le conflit dure depuis une éternité, qu’aucune victoire militaire n’est prévisible avant très longtemps, que les institutions, même si elles se prétendent démocratiques, sont faibles et corrompues, l’amnistie peut être une solution. Elle peut arrêter les effusions de sang. Le politicien peut se permettre de mettre en application une telle idée, il peut être pragmatique contrairement au juriste. Le cas de la Namibie est un exemple dans ce domaine, elle a réalisé sa réconciliation à  travers des programmes de répartition des terres, de rééquilibration des richesses entre les blancs et les noirs. Le passé a été oublié avec le temps et 15 ans après la fin du conflit il ne s’est toujours rien passé.

Cependant ce “pragmatisme” peut aussi se révéler inadéquate s’il n’existe pas une volonté à  long terme de fortifier les institutions. Cela peut être une étape pour la paix, mais pas un but en soi.

Pour cela les amnistiés se doivent non seulement de rendre les armes mais aussi de garantir de ne plus user de leur pouvoir de pression qu’il soit politique ou économique. Là  est la grande inconnue de la Colombie: que font les démobilisés?

Pour aller plus loin

La Ley de Justicia y Paz

Après l’expérience des négociations du Président Pastrana qui ont malheureusement échoué le Président Uribe est arrivé au pouvoir avec une proposition totalement différente. Tout d’abord la reprise des hostilités contre les FARC avec le but de les anéantir par les armes. Ensuite son gouvernement a fait une proposition de loi pour l’amnistie partielle des groupes armés illégaux, qui devrait permettre la démobilisation de ceux-ci. Cette loi est, en tout cas en théorie, adressée aux paramilitaires comme aux FARC qui ont commis des atrocités telles que la torture, l’enlèvement, le génocide etc. Le but principal, annoncé dans le premier article, est de promouvoir le droit des victimes à  la vérité, la justice et la réparation.

En de nombreux points la loi n’est pas respectueuse du Droit International (DI) comme par exemple lorsqu’elle définit les victimes. La définition inclus les membres de la force publique qui ont souffert de blessures. Le DI Humanitaire considère qu’un soldat blessé au combat n’est pas une victime. Cette loi permet aux militaires de bénéficier des avantages concédés aux victimes. Hormis le droit à  la vérité, la victime a le droit à  la réparation c’est à  dire l’indemnisation, la réhabilitation et la garantie de non répétition des actes.

Ensuite la loi met en place un système de justice transitionnelle pour favoriser la révélation de la vérité. Une audience préliminaire est suivie d’une investigation de 60 jours. Ces 60 jours sont censés permettre à  la police judiciaire de réunir tous les faits. Cela peut paraître insensé car de nombreuses enquêtes durent depuis plusieurs années et aucun résultat ne permet de conclure quoi que ce soit. La loi, telle qu’elle existe, ne permettrait pas aux victimes de connaître la vérité, une nouvelle fois la loi n’est pas conforme avec le DI.

Le thème suivant concerne les peines, elles sont allégées, le but est motiver les groupes illégaux à  déposer les armes. Le maximum autorisé par la loi est 8 ans. De plus il existe la possibilité de faire une peine alternative: c’est à  dire de se compromettre à  contribuer à  sa resocialisation à  travers le travail, les études ou l’enseignement pendant le temps de privation de la liberté et promouvoir les activités orientées à  la démobilisation des groupes armés.

Il existe aussi un devoir de réparation et de restitution. Les membres des groupes armés doivent rendre les biens qu’ils ont obtenus par la force, principalement les terres. Ils doivent aussi payer leurs victimes en guise de réparation. Le problème est qu’ils ont apparemment le droit de payer avec l’argent obtenu illicitement, ce qui peut paraître quelque peu grotesque.

L’autre possibilité pour promouvoir la réparation est la mise en place par l’Etat de programmes de réparations collectives tel que des actes symboliques en mémoire des morts, des monuments ou même des programmes de développement institutionnel pour les municipalités qui ont souffert de la violence. Cela devrait être fait de même que la mise en place d’une commission de réparation et de réconciliation qui devrait être créé d’ici quelques mois.

Cette loi est un exemple de justice transitionnelle, ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’un Etat fait recours à  ce genre de méthode. L’exemple le plus connu est celui de l’Afrique du sud où les commissions de vérité mise en place dans ce pays ont été une réussite, les victimes ont pu connaître leur histoire et les bourreaux ont demandé pardon. C’est un échange, la vérité contre le pardon, qui peut permettre la réconciliation.

Dans le cas de la Colombie il reste encore beaucoup de chemin à  faire mais il faut, c’est presque un devoir, garder espoir.