Mes amis Vincent et Yann en ont déjà débattu par blog interposés. Un peu à l’image de maîtres de château rivaux, les voilà qui se tiraient dessus à boulets rouges, séparés de plus milliers d’électrons de distance.
Les débats entre fumeurs et non-fumeurs sont en règle générale relativement stériles. Chacun défendant son pré carré, ou plutôt son espace d’air carré, il est difficile pour chacun d’entre eux de prendre du recul. Quoi que, je trouve que Vincent fût capable d’une certaine modération, bien que pas IMHO de relativisation.
Pourquoi me relancer là-dedans ? Et d’abord, dans quel camp suis-je ? Qui vais-je donc défendre, à la fin, puisque c’est un débat si polarisé ? Peut-être aucun des deux, puisque le débat est relativement stérile. Ou peut-être justement les deux, puisque je suis un ancien fumeur.
Pas si ancien fumeur que ça : cela doit remonter à deux mois, maintenant. Le prix des cigarettes (j’ai renvoyé les foutus économistes et théories foireuses de l’inélasticité-prix de la demande à étudier des choses plus scientifiques), le souffle quasi-inexistant, marre de ma dépendance sont quelques unes des très nombreuses raisons. Aujourd’hui, il peut m’arriver de fumer une ou deux cigarettes les semaines fastes : ce n’est plus que du concentré de plaisir, et non la réponse à un manque. Ca change tout.
Je regarde depuis d’un autre oeil les fumeurs attablés dans un bistrot, des volutes de brume sèche tentant de me happer dans le cercle de ceux qui sont aujourd’hui considérés non grata. On n’en veut plus. Étonnant retour aux sources pour la cigarette : démarrant sa consommation de masse dans les années 40-50 grâce notamment à Hollywood et l’image de rebelle véhiculée par l’industrie cinématographique, elle finira sa course en représentant toujours le même symbole. Les ados ont encore plus de raisons de s’enfumer, maintenant qu’ils savent que c’est vraiment interdit. Une publicité dont n’avait pas besoin l’industrie du tabac.
J’ai commencé à m’interroger sur la véracité de la peur des non fumeurs quant à la dangerosité de la cigarette il y a 2 mois environs. L’un de mes potes, certainement le plus moraliste qu’il m’ait été donné de rencontrer (hors du parti, ils sont hors concours ceux-là 🙂 ) s’est offusqué que je lance un mégot sur le bitume, attenant à son petit jardin, sur lequel je fumais tranquillement ma cigarette. Tentant de m’expliquer que le mégot n’est pas biodégradable (je n’ai pas osé lui répondre du tac-au-tac que le bitume l’est encore moins), j’ai compris que les non fumeurs ont dépassé le stade de recherche critique d’arguments pour expliquer leur opposition à la cigarette. J’ai compris qu’autour du tabac en pret-à-porter, s’est cristallisée une espèce de haine puritaine du plaisir. La dangerosité, l’effet exclusif, cela n’est plus bien souvent qu’un prétexte à l’imposition d’une moralité unique.
Voici quelques extraits de mon pote :
La cigarette, on le sait bien, est très néfaste pour la santé. À tous les jours, on nous donne de l’information sur les conséquences néfastes de la cigarette : maladies pulmonaires et cardiaques, cancer, etc. Il paraît que la fumée de tabac ambiante (FTA) est la plus nuisible. Cette fumée contient 4000 produits chimiques dont le goudron, la nicotine, le monoxyde de carbone et bien d’autres produits aussi appétissants.
Observe bien ces statistiques :
29% des enfants de 15 à 19 ans fument et les deux tiers d’entre eux fument tous les jours.
10% des enfants de 12 à 14 ans fument et environ la moitié fume tous les jours.
Les filles de 12 à 14 ans sont trois fois plus susceptibles de fumer que les garçons.Nous sommes beaucoup moins conscients de l’impact environnemental de ces cigarettes : les mégots. Beaucoup de gens jettent (sans même y réfléchir) leurs mégots un peu partout : dans la rue, les terrains, les parterres et même la forêt. Le problème réside dans le fait que ces mégots ne se décomposent pas aussi facilement qu’une feuille morte à l’automne.
Fais ce petit calcul et réalise l’ampleur de ce phénomène à l’intérieur d’une école.
Imagine-toi dans une polyvalente où il y a 500 fumeurs qui doivent aller fumer à l’extérieur (à cause du règlement anti-tabac) devant la porte principale. Si ces 500 personnes vont fumer en moyenne 5 cigarettes par jour et qu’elles ne jettent pas leurs mégots dans le cendrier;
Cela fait _____ mégots dans le cendrier.
Cela fait _____ mégots par semaine.
Donc ça fait _____ mégots par mois.Les mégots de cigarettes prennent en moyenne 7 ans avant de se décomposer. Alors pourquoi ne pas jeter ces mégots aux endroits désignés? L’environnement ça nous concerne tous!
Vu mes opinions politiques, je crois que je fais parti des gens les plus sensibilisés aux arguments écolos. Mais je refuse que l’on instrumentalise la « philosophie verte », et qu’on la serve à toutes les sauces. Ce faisant, on participe à justifier l’image d’extrêmiste des verts, mais surtout, on dilue la « philosophie » en l’étirant à tous les domaines, à toutes les discussions. C’est surtout, je crois, signe que l’on n’a pas vraiment compris pourquoi l’on trie ses déchets.
Ce type de phrases, reprises de mails en mails, parcourant les sites internets (et les blogs 🙂 ), sont du niveau des chainletters : « la petite Lucie a le cancer du sida, merci de penser 10 secondes à elle et d’envoyer ce mail à 20 personnes sinon des ongles incarnés et purulants vous pousseront sur les gencives ». C’est exactement la même chose, avant de réfléchir à pourquoi les parents de Lucie enverraient un tel e-mail, on a déjà appuyé sur send. Tel est le pouvoir du kitsch. Et qui m’amène à penser qu’il n’y a plus aucun rapport entre la cigarette et la vindicte populaire envers les fumeurs.
Mon pote enchaîna avec un :
Que penses-tu de cette maxime ou moto des écologistes ?
« Think globally, act locally «
à quoi je répondis
Oui, globally. Le global doit être le point de départ de toute réflexion.
Dans ce global, cela signifie bien qu’il faut être pragmatique, et
s’intéresser à ce qui vaut la peine. Ce manque de pragmatisme, les Verts en
ont fait preuve pendant longtemps, laissant leur côté puritain prendre trop
souvent le dessus. Avec le temps, ils ont compris leur erreur, pour devenir
de vrais partis politiques; aujourd’hui, ils se concentre sur des actions
qui ont des résultats concrets, même si cette tendance à s’égarer dans
l’idéologie puritaine est toujours présente dans le parti.Franchement, tu peux me reprocher simplement que les clopes elles-mêmes
demandent leur destruction, destruction qui produit de la pollution; mais ce
faisant, tu t’attaques à ma liberté de fumer (enfin, on peut se demander si
la dépendance au saloperies mises dans les clopes corrrespond à une idée de
liberté :/ ), et tu as le devoir de ne plus utiliser du tout quoi que ce
soit de non-périssable. Tu ne peux jamais être cohérant jusqu’au bout; et
sur ce problème précis le problème n’est pas du côté du consommateur, mais
bien du côté du producteur et des pouvoirs publics. Tu t’attaques aux
mauvaises personnes. A chacun ses responsabilités.Y a un mois, le premier traité international sur la cigarette a été ratifié
par un grand nombre de pays : interdiction de la publicité, augmentation du
prix des clopes, etc. Le problème est la vente libre de ce poison, accepté
encore aujourd’hui comme si c’était un produit comme un autre. Je ne suis
pas sûr que la répression soit la solution, mais ce qui est sûr, c’est qu’on
ne peut pas le traiter comme un produit normal.
Je n’ajouterai rien à cela, je trouve que j’ai très bien répondu. Mon pote a abandonné l’affaire, sous prétexte qu’il n’avait pas le temps de me répondre, et que j’étais trop taillé pour ce type de discussions avec les années que j’ai passé à faire des passes d’armes sur le web. Il y a peu de chances qu’il atterrisse sur ce blog un jour, je ne critiquerai donc pas ces excuses bidons pour abandonner une discussion. Car on abandonne une discussion quand on est à court d’arguments, ou qu’elle ne nous intéresse plus. On ne passe pas 2 plombes à écrire un mail à quelqu’un pour lui expliquer qu’on a pas de temps 🙂
Tout ceci est déjà long, et souvent très perso. Je ne devrais pas forcément généraliser. Surtout qu’en intro, je parlais bien de Vincent qui n’avait pas ce côté puritain. Mais je ne peux m’ôter de l’esprit que, aujourd’hui, le produit n’est plus l’objet de la discussion.
Autre exemple : un collègue d’armée qui, ayant arrêté de fumer grâce à ce-foutu-bouquin-qui-a-fait-arrêter-de-fumer la moitié de la planète (j’ai oublié le titre), se mettait dans un état d’hystérie parce que je tentais de lui expliquer que j’arrêterai dans une semaine ou deux. Il avait arrêté et, en tant que fumeur repenti, il faisait son oeuvre de missionariat. Au bord de la crise de nerf, incapable d’accepter que je ne voulais pas arrêter parce que lui me le demandait, il devait être convaincu qu’il fallait à tout prix qu’il puisse, maintenant qu’il était sauvé, me sauver à son tour. Il devenait primordial que j’arrête, et pas seulement que j’arrête de fumer. L’acte le révulsait, et pas le produit en lui-même.
Tout cela pour dire que, où que l’on soit, quoi qu’on lise, il est rare de lire quelles études ont prouvé quoi. Quels sont les risques réels. Quelque chose de scientifique à se mettre sous la dent, une preuve quelconque, quoi. Je ne remets pas en cause la causalité cancer-clope, mais la manière dont sont menées les discussions.
L’aspect libertaire de la clope ? J’en parlerai une autre fois 🙂
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