Le retour du plombier polonais masqué : il est en Suisse

Votation sur l’accord bilatéral UE-Suisse : Cachez-moi ce plombier que je ne saurais voir

La Suisse s’apprête à voter le 25 septembre 2005 sur l’extension au dix nouveaux membres de l’Union européenne (UE) de la libre circulation des personnes, l’un des volets l’accord bilatéral Suisse-Union Européenne. Sur de nombreux points, l’émotion provoquée par les arguments d’opposition (de droite ou de gauche) n’est pas sans rappeler ce que vient de vivre la France le 29 mai dernier : on y discute beaucoup de plombier polonais.

Face à des discours aux senteurs xénophobes consécutifs aux débats populaires sur le Traité établissant une constitution pour l’Europe (TECE) en France, la réaction de l’office du tourisme polonais à Paris a été exemplaire. Tournant en dérision les dires des détracteurs du traité, elle pouvait même rassurer par son audace. Mais après tout, les Polonais ont eux aussi connu des débats teintés de peur de l’étranger, et ce peu avant son adhésion à l’UE. Peur de perdre la main sur le marché national de l’électricité, peur de devoir assumer le rôle de gardien des frontières européennes, peur de l’immigration ukrainienne, les arguments qui ont fusé de part et d’autre n’atteignaient pas des sommets.

Toutefois, si le débat sur l’Europe, qu’il soit français ou polonais, trouve pour terreau commun la peur, il serait maladroit de penser pouvoir évacuer cette frayeur sans s’y attarder : le malaise est plus profond qu’on ne le croit, il contamine tous les débats européens aujourd’hui. Même les pays hors UE, comme la Suisse.

La Confédération helvétique a pour image bien ancrée dans l’inconscient collectif d’être un eldorado banquier; ce que l’on a tendance à oublier, c’est que si le pays possède le deuxième PIB par tête d’habitant le plus élevé au monde (après le Luxembourg, chiffre 2001 Banque Mondiale), il a aussi dans un de ses cantons un taux de chômage que l’on pourrait cyniquement qualifier d’eurocompatible : 7,5 % à Genève, l’un des deux poumons économiques du pays.

Avec son marché du travail difficile, la crainte de l’ouvrier polonais domine les débats lorsque l’on parle d’Europe dans le montagneux pays. Simple effet boule de neige ou réelle angoisse ? La persistance, la virulence des propos entendus çà et là sont autant d’indices que l’inquiétude n’est pas que passagère. Le parti de l’Union Démocratique du Centre (UDC), première force politique du pays, s’est hissé à cette place à coups de formules expéditives stigmatisant les étrangers, la criminalité galopante, le libéralisme économique débridé.

Ce dernier point représente à lui seul toute la complexité du débat : l’UDC, parti de droite dure, ne s’est jamais dépêtré de ses incohérences. La position sociale de son ancien leader, Christophe Blocher, aujourd’hui Conseiller National, mais surtout président d’EMS-Chemie Holding SA, se marie difficilement avec les appels à l’augmentation des tarifs douaniers. En effet, la base électorale du parti populiste est d’origine agraire : des paysans qui, face à l’accélération des échanges internationaux, sont conscients de ne plus être outillés pour résister. L’UDC répond à leur attente, en prônant subsides et protections douanières.

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Cette contradiction entre ouverture et fermeture symbolise à tout point de vue les tensions, et parfois même les ruptures qui secouent les partis politiques. Il devient difficile de répondre de manière simple et directe aux questionnements populaires. En d’autres termes, une doctrine partisane qui soit cohérente et qui colle à cette mondialisation si redoutée n’a pas encore été trouvée.

Cela explique que des convergences, inconcevables hier, voient maintenant le jour un peu partout en Europe : l’extrême gauche, qu’elle soit léniniste ou pas, s’allie indirectement à l’ennemi héréditaire, la droite dure, néolibérale ou pas. En Suisse également, les partis des deux extrêmes, bien que ce dernier mot ne prenne pas le même sens que dans d’autres pays, se rejoignent. L’opposition partisane que l’on se représentait jadis comme deux parallèles, ne pouvant en aucun cas se recouper, s’est révélée être soumise à la perspective : si l’on voit dans la mondialisation le point de fuite, le voile qui rendait inintelligible l’alliance honteuse s’envole. Machiavel relatait déjà comment la peur faisait taire les antagonismes.

Aujourd’hui en Suisse, comme hier en France ou avant-hier en Pologne, les partis de gauche – et droite – se divisent, les extrêmes confluent. A défaut d’épouser la doctrine stricte néolibérale ou néomarxiste, les citoyens européens sont séduits par des spectres démagogues, inspirés par des prédécesseurs qu’ils n’ont bientôt connus – pour la presque totalité d’entre eux – que dans les livres d’histoires. Ce danger du populisme, de la simplification à outrance du discours politique, semble appartenir à un monde révolu.

A défaut de réponse énergique et rapide, la création d’une identité européenne, voeux cher à Bruxelles, risque de rester lettre morte. Pire, on peut penser que le plombier polonais, cauchemar de l’Europe industrielle et post-industrielle, continuera à figurer en bonne place dans les discours populistes. La Suisse est, jusqu’au 25 septembre 2005, le centre de toutes les attentions de la Commission européenne. Et l’UE ne veut pas, cette fois-ci, pêcher par excès de zèle : l’omerta est la consigne depuis la déclaration de la commissaire européenne Benita Ferrero-Waldner, qui prit de court les responsables politiques helvétiques. Alors qu’ils s’escrimaient à convaincre leurs citoyens que Bruxelles était de nature consensuelle, et donc compatible avec les valeurs suisses, la commissaire lança un pavé dans la mare en affirmant qu’un éventuel refus suisse serait contraire au droit communautaire ; rien ne pouvait plus être reçu comme un chantage par la population helvétique.

Si au niveau du débat démocratique, on remarque de nombreux points de convergence entre le TECE et l’extension des bilatérales Suisse-UE, les conséquences d’un échec ont également quelques similarités. Renforcement du sentiment anti-européen, désillusion pour ceux qui croient ouvrir la voie à une renégociation immédiate, mais surtout, imagination en panne. Les questions agitant l’Europe sont transversales, transpartisanes et transnationales : qui mieux que l’UE est outillée pour faire face aux défis d’aujourd’hui ? Elle doit résolument apprendre à se vendre, à faire sa publicité au sein de ses citoyens. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il n’y a pas de plan B, l’UE est le passage obligatoire. Elle peut s’interposer entre la mondialisation et sa population, telle une douane à une frontière entre deux nations. A l’UE de faire comprendre que sans elle, les chocs ne seront que plus rude pour les habitants du petit continent européen.

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Cet article a 2 commentaires

  1. jcv

    Je pensais qu’on arrêterait avec « l’épouvantail Bolkenstein » le jour où on le rejetterait, mais je vois que non… Les syndicalistes continuent à défendre becs et ongles leurs avantages, quitte à raconter n’importe quoi.

    Si tu me trouves un rapport direct entre cette directive aujourd’hui jettée aux aux oubliettes et le TECE, je suis prêt à manger ce dernier. Dans le cas contraire, je serai forcé de croire que tu ne fais que de l’alarmisme partisan.

  2. Pierre

    Vous faites totalement erreur :
    Le « plombier polonais » n’est pas une invention des partisans du NON au TCE, c’est TOUT LE CONTRAIRE:
    Cette expression à été inventée par Mr Frits Bolkestein, ( Partisan du OUI ), qui possède une résidence secondaire en France , et qui, ( en bon valet du libéralisme qu’il est ), cherchait un plombier au tarif polonais.
    ..Tout se tient et est donc très logique.

    ( Et les partisans du non n’ont pratiquement jamais utilisé cette image, l’expression « Dumping social » étant suffisamment claire. )
    voir :

    http://reseau.over-blog.com/15-categorie-21383.html

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