Le titre est peut-être racoleur, mais j’ai USA Today, Le Matin et le GHI sous mes yeux. Il doit y avoir du mimétisme là-dedans.
La BBC, qui n’a rien en commun avec les précédents quotidiens, titre aujourd’hui pompeusement « Blogs vie with news for eyeballs » (Les blogs luttent avec la presse écrite pour attirer l’oeil), expliquant qu’avec le choix de Yahoo d’inclure les recherches de blogs, la blogsphère devient une réelle concurrence à l’information officielle. Passons le fait que Google ait lancé depuis au moins trois semaines déjà son propre système de recherche de blogs La BBC a actualisé son article, en rectifiant son omission. : la BBC, peut-être le média le plus indépendant au monde, l’un des plus critiques en tout cas, rend hommage aux blogs. C’est là une belle reconnaissance, à n’en pas douter.
Le phénomène des blogs (compression de « web + log », soit journal web) est après tout relativement récent. Non pas dans la forme ou dans la technologie utilisée (les premiers outils en sont parfois à leur troisième version) mais dans la consultation, qui se profile de plus en plus comme massive. Dans des pays où l’accès à l’information est réglementé de manière formelle (Chine) ou informelle (USA), c’est une bouffée d’air frais pour tout citoyen en quête de vérité. Les statistiques parlent de la création d’un blog à la seconde au mois de juillet 2005, chiffre qu’il convient certainement de doubler ou même tripler, tant le phénomène prend de l’ampleur : le nombre de blogs double tous les 5 mois approximativement, avec une régularité que n’a même plus la loi de Moore sur les microprocesseurs. Au mois d’août, le site de référencement/recherche de blogs Technorati répertoriait 14,2 millions de blogs, et presque à la mi-octobre nous voilà déjà à 19,2 millions de journaux cyberspatiaux : 135% en deux mois et demi, voilà de quoi oublier des livres de chevets trop encombrants.
Evidemment, ces chiffres sont à prendre avec les précautions d’usage : certaines personnes ouvrent plusieurs blogs en même temps, d’autres les utilisent à des fins informerciales, nombreux sont les blogs à contenir deux ou trois messages. Quantité ne rime pas forcément avec qualité, les blogs, phénomène démocratique avec tous les effets pervers induits par celle-ci, le prouve encore.
Car au-delà de cette explosion numérique, qu’en est-il de l’impact réel ? Les internautes sont-ils fidèles ? Est-ce qu’ils ont autant confiance dans la presse numérique que dans la presse écrite ? Et surtout, est-ce une vrai chance pour le 4ème pouvoir, voire est-ce carrément un 5ème pouvoir en gestation ?
Le premier révélateur auquel on peut se fier, c’est le nombre gigantesque de blogs qui se sont constitués lors de l’ouragan Katrina aux USA. Toutes ces victimes qui souhaitaient partager leur révolte, informaient par la même occasion des carences de l’administration fédérale. Court-circuitant les réseaux d’information officiels, passant par dessus des médias qui ont été jusqu’à récemment beaucoup trop partiaux; je pense bien sûr à la perte de crédibilité du New York Times, qui reconnaissait voilà un an et demi ceci :
Le New York Times, souvent présenté comme l’un des journaux les plus influents de la planète, a reconnu, dans un éditorial publié mercredi 26 mai, des erreurs dans sa couverture des événements ayant conduit à la guerre en Irak, en regrettant parfois son manque de rigueur face à des informations erronées.
source : le Monde du 28/5/2004
L’information subjective doit être prise pour ce qu’elle est : subjective, partiale, parfois sans expérience. Mais le métier de journaliste n’a jamais été et ne doit pas commencer à être porté aux nues : c’est un métier qui requiert avant tout de la rigueur, de l’expérience, et de l’honnêteté. Rien qui ne nécessite un doctorat en déchiffrage du papyrus phéno-grec. Ce métier doit, de par sa vocation première, rester accessible à tous, informer et dénoncer.
Traditionnellement, les journalistes étaient originaires de toutes les catégories sociales, tous les corps de métiers, toutes les tendances politiques (enfin, il faut reconnaître qu’ils sont souvent à gauche). Alors, sous prétexte de combattre le phénomène des blogs, ne mettons pas les journalistes sur un piédestal. Ni le papier, ni le virtuel ne doivent être caricaturés.
Si j’interroge ainsi la « qualité » du médiateur, c’est parce que c’est là-dessus que va se jouer l’avenir du blog : la fiabilité de l’information fournie, la crédibilité des rédacteurs du blog. Les lecteurs reviendront ou non, avec très probablement une volatilité propre aux utilisateurs d’internet, qui butinent plus que se sédentarisent sur une toile peu collante.
Pour attirer l’internaute, les blogs devront se parer de leurs plus beaux atours; en d’autres termes, sembler le plus professionnel possible. La grande inconnue : le nerf de la guerre, le démon argent, sera-t-il nécessaire pour la professionnalisation ?
La question est loin d’être anodine : la presse occidentale se porte mal, en particulier la presse européenne. Concurrencée depuis longtemps par les médias audio-visuels, s’ajoutent maintenant la presse écrite gratuite et internet. Les réactions de certains journaux à ce nouveau type de concurrence me rapelle un peu la réaction de Swissair quelques mois avant sa faillite qui à travers son chargé de la communication déclarait ne pas « redouter la concurrence des compagnies low cost« . Certes, la faillite de l’aviateur est due à de nombreuses incuries, mais le manque de lucidité sur le changement de la structure du marché risque d’être reproché aux groupes de presse d’aujourd’hui comme il a été reproché au Swissair d’hier.
Regarder sur le long terme, c’est au mieux regarder sur le moyen terme lorsqu’on parle d’internet; si tout s’accélère, il est des domaines qui suivent un rythme plus rapide encore, et le réseau des réseaux fait partie des véloces parmi les véloces. Il faut donc faire preuve d’audace et de clairvoyance, et vite. Répondre aux besoins des citoyens autrement qu’en mettant en place des forums non modérés sur les sites officiels des journaux, mais au contraire amener l’information auprès des internautes : interagir, utiliser les nouvelles technologies de l’information non pas comme une fin en soi, mais un moyen. Renverser la donne actuel qui fait du lecteur un être passif, mais l’impliquer au maximum.
A n’en pas douter, la popularité des blogs comme source d’information n’est pas près de diminuer auprès des internautes; au contraire même, tous les signes sont là pour nous dire que dans le pire des scénarios, il s’agira d’une alternative à la presse écrite. Et plus vraisemblablement, la concurrence entre les deux médias sera rude. Les questions en suspens : qui tirera le premier ? Qui passera la barre de la qualité médiocre pour se professionnaliser ? Et avec… quels moyens ?