ONU, UE, et opérations de maintien de la paix

Il est difficile de passer à côté des relations entre les organisations régionales et les Nations Unies (ONU) lorsqu’on aborde les opérations de maintien de la paix (OMP). Thierry Tardy, directeur de cours au Geneva Centre for Security Policy, présente lors d’une conférence donnée le 10 novembre 2005 à l’Université de Genève, les problèmes actuels de coopération entre l’Union européenne (UE) et l’ONU, tout en restant optimiste sur son avenir. Depuis la fin de la Guerre Froide, l’ONU a multiplié ses opérations, mais avec, il faut le reconnaître, un manque réussite parfois déroutant. L’organisme universel se défend en rappelant le manque de moyens à sa disposition; c’est pourquoi la coopération entre l’UE et l’ONU est si importante, l’Europe pouvant – peut-être – pallier certaines des carences structurelles de l’instance mondiale. Résumé synthétique de la présentation de M. Tardy.

Thierry Tardy distingue dans un premier temps la demande onusienne et l’offre européenne. Du côté de cette demande, l’idée-force est de partager à la fois le fardeau – financier notamment – et de pouvoir dans le même mouvement garder le contrôle sur les organisations régionales quelles qu’elles soient. En effet, le chapitre VIII de la Charte de l’ONU prévoit que les organisations régionales doivent être subordonnées en tout cas à l’ONU. On le comprend aisément, il ne saurait en être différemment pour maintenir une légitimité universelle de l’organisme.

Pourtant, dès l’adoption du rapport Brahimi (septembre 2000, rapport complet disponible), on explore de nouvelles pistes de coopérations avec les organisations régionales.

Et la demande va clairement se tourner vers l’UE, lui demandant à la fois une participation active aux OMP, un soutien à la planification des OMP, ou encore de conserver des troupes européennes sur les lieux d’interventions, mais dont le commandement passerait sous l’hégide de l’ONU (concept du “re-hating“). Exemple pratique de ce concept, dépassant le cadre européen, avec en 2000 la reprise par l’ONU de l’Interfet (renommée pour l’occasion UNTAET) au Timor-Oriental. Dernier besoin onusien, l’assistance, le support stratégique en cas de débordement des forces de l’organisme, cas rencontrée en Côte d’Ivoire et résolu par l'”opération Licorne”.

Ces demandes pourraient dans l’absolu être satisfaites par de nombreux organismes régionaux. Mais c’est l’UE qui est la plus à même d’y répondre, car en plus d’être fervante défenderesse des valeurs libérales onusiennes, en plus d’être une grand contributrice de l’organisme, elle a développé une expertise essentielle aux tâches de l’ONU. En effet, depuis 2003, l’Union doit créer 13 unités (1’500 hommes par unité, soit près de 20’000 hommes) destinées à être déployées avant l’intervention décidée du Conseil de sécurité. Ce qui pourrait passer pour le reflet d’une volonté de subordination à l’instance mondiale; mais les choses sont loin d’être aussi claires. Enfin, et il y a lieu de le mentionner, seules l’UE et l’ONU ont une approche holistique de la gestion des conflits : la prise en compte d’une grande quantité de domaines (économie, politique, législation, etc) et répartie dans le temps (avant le conflit, pendant et après celui-ci) sont une caractéristique propre à ces deux organisations.

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Ce tableau se doit cependant d’être ramené à la réalité du terrain. La collaboration UE-ONU est très récente; l’UE elle-même n’a décidé de se doter de force d’intervention rapide que depuis 2003. En juillet de cette année-là, une déclaration d’intention des Quinze souligne la nécessité de planifier, de former et de coopérer avec l’ONU. Un comité réunissant les membres des deux organisation en sera le fruit indirect, signe que le partage d’information et la coopération est à l’ordre du jour.

Deux opérations ont directement bénéficié de cette avancée : Concordia (Bosnie-Macédoine) en 2003, et Artémis au Congo, la même année. A noter que cette dernière est la pierre de touche lorsqu’on analyse les OMP, tant la coopération, la réussite et la volonté entre tous fût exemplaire. Mais comme le démontre Thierry Tardy, il en faudrait beaucoup plus pour que l’offre européenne rencontre pleinement la demande onusienne.

En effet, la convergence est assez théorique : en premier lieu, l’UE n’est pas prête à envoyer des troupes nationales, principalement en raison des échecs de la Somalie et la Bosnie. Les images des soldats malmenés ont choqué l’opinion publique internationale, et les gouvernements ne veulent plus faire courir un tel danger à leurs soldats détachés pour l’ONU. Ce comportement est inquiétant, car il devient difficile de réaliser des OMP “robustes” (comprendre coercitives, selon le vocabulaire usité dans le rapport Brahimi) sans la participation du personnel le mieux entraîné, ou qui possède le matériel le mieux adapté à ces situations. Plus encore, c’est risquer de créer des OMP à deux vitesses : en fonction du choix retenu dans l’intervention par l’UE, sa concrétisation serait plus ou moins effective. On est là très loin des idéaux universalistes de l’ONU.

Autre limite à l’engagment de l’UE, le concept d’autonomie, base du processus de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Lorsque l’UE se penche sur son avenir militaire communautaire, elle le fait – bien souvent – en contraste de sa coopération la liant à l’OTAN; l’indépendance est au coeur de ses préoccupations… une vélléité difficilement compatible avec le chapitre VIII de la Charte, précédement mentionnée.

M. Tardy conclut en rappellant que sur les 12 OMP de l’UE, seules 2 ont eu pour base légale une résolution du Conseil de sécurité. Pour les 10 autres, le consentement de l’Etat hôte et du Conseil de l’Union européenne entérina les opérations (toutes non coercitives). Et de se demander de la légitimité dont bénéficierait une action coercitive, découlant d’une opération qui ne l’était pas à l’origine. D’autant plus que, les Européens, bien que majoritairement attachées à l’universalisme de l’ONU, décridibilisent celle-ci en l’évitant.

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Interrogé enfin sur les conséquences du rejet du Traité Etablissant une Constitution pour l’Europe (TECE) par la France et la Hollande, M. Tardy a fait remarquer “qu’un lien entre crises politiques européennes et coopération militaire européenne est toujours prit en défaut”. C’est ainsi qu’en 2003, par exemple, année de tensions extrêmes au sein de la communauté (en raison de divergences sur l’intervention américaine en Irak), fût également celle de toutes les réussites sur le plan militaire. Ou plus proche de nous, on remarque qu’en 2005, même après les votes négatifs sur le TECE, les opérations communes se multiplient, ne serait-ce que par exemple au Darfour, dès juillet 2005. M. Tardy souligne néanmoins que le TECE aurait “amélioré la visibilité de l’UE pour les fonctionnaires onusiens”. En effet, les situations où l’ONU ne sait à qui s’adresser sont très – trop – nombreuses : Commission ou Conseil ?, reviennent telle une ritournelle.

Espérons que les conséquences ne seront pas trop chères à payer pour les habitants des pays déchirés par une guerre civile, en cours ou à venir.

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  1. Anonyme

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