Ni de droite ni de gauche, les Verts ? Pas si simple…

Par manque de temps – et peut-être de motivation – je n’ai pas pu faire paraître dans l’une des éditions du HEI Comet un débat qui me tenait à coeur, à savoir si l’écologie était de droite ou de gauche. Sous la forme de débat, j’aurais souhaité démontrer que bien que non partisanne par définition, la politique écologiste implique une sensibilité politique ancrée à gauche. Récemment, le Secrétaire général du parti des Verts suisses s’est fendu d’un article que j’ai trouvé limpide, et qui contient je pense tous les arguments démontrants que l’écologie ne peut s’incarner que dans un parti politique Vert de gauche. Je reproduis ici, avec sa permission, sa prose en version intégrale.

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Où les Verts se situent-ils sur l’échiquier politique?

Hubert Zurkinden portraitDe toute évidence contre les inégalités
Les Verts sont à gauche, lit-on dans la presse. Ils ne devraient être ni de gauche, ni de droite, pensent certains Verts. Hubert Zurkinden, secrétaire général des Verts suisses, s’efforce de clarifier une question controversée.

Dans un article du 7 novembre 2005 sur les Verts suisses, la Neue Zürcher Zeitung estime que nous devons notre succès en grande partie au positionnement du parti à gauche. Beaucoup de Verts de la première génération, celle des fondateurs du parti (de fait, surtout des hommes), sont d’avis que les Verts ne sont, d’après leurs statuts, «ni de gauche, ni de droite». En fait, ce n’est pas ce que disent les statuts: l’article 3 précise que «la fédération ne se rattache à aucune tendance politique existante, à aucun mouvement religieux, à aucun intérêt économique, à aucune considération raciale ou de classe sociale. Dans cette perspective, elle entend dépasser le cadre traditionnel de l’opposition gauche-droite.»

Il est donc peut-être utile de revenir sur le concept de «gauche». D’une part, il s’agit de répondre aux medias qui veulent savoir si les Verts se situent à gauche, ou même à la gauche du PS. D’autre part, la classification officielle selon le schéma gauche-droite n’est pas toujours évidente. Ainsi, les conseillers et conseillères nationaux qui ont voté pour le soutien de la Confédération à Swiss ont été rangés à gauche. Les Verts, qui ont voté contre, ont été classés à droite. Comment évaluerait-on un vote sur le dézonage à Galmiz?

Personne n’échappe au schéma gauche-droite

Il est clair qu’en politique, on ne peut se soustraire à une classification selon le schéma gauche-droite. Ces catégories sont utilisées dans le classement des politiques pour mettre en évidence la distance entre différentes positions. L’outil d’aide au vote en ligne smartvote (www.smartvote.ch) construit les profils des politiciennes et politiciens selon deux axes, gauche-droite et libéralconservateur. Ces axes sont définis comme suit:

  • positions de base de gauche: social, critique envers l’autorité
  • thématiquement de gauche: assistance sociale, critique envers l’autorité, pacifisme
  • positions de base de droite: compétitif, favorable à l’autorité
  • thématiquement de droite: responsabilité économique individuelle, ordre et loi, défense militaire
  • positions de base libérales: ouvert, confiant
  • thématiquement libéral: ouverture, intégration, réforme
  • positions de base conservatrices: fermé, sceptique
  • thématiquement conservateur: souveraineté nationale, démarcation des étrangers, conservation
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Ces classifications sont sujettes à discussion, et il y a naturellement d’autres définitions de ce qu’est la gauche. Pour Peter Glotz, qui fut professeur à la Haute Ecole de Saint-Gall, la gauche est la force qui cherche à poser des limites à la logique du marché. Il y inclut entre autres la défense de l’Etat social et de certaines institutions démocratiques, l’égalité effective entre femmes et hommes, la protection des ressources et de la nature, la lutte contre le nationalisme. Pour le professeur de philosophie espagnol Elias Diaz, l’identité de gauche suppose notamment d’être prêt à défendre une politique de redistribution, de se préoccuper d’une véritable mise en oeuvre des droits humains, en particulier pour les minorités, les personnes âgées, les enfants, etc., un poids plus important accordé à la collaboration par rapport à la confrontation et à la concurrence (cité par Bobbio, cf. plus bas).

Ni supérieurs, ni inférieurs

Les réflexions du philosophe politique italien Norberto Bobbio sont à mon avis particulièrement pertinentes pour opérer une distinction entre droite et gauche ( Norberto Bobbio, Droite et gauche: essai sur une distinction politique; trad. de l’italien par Sophie Gherardi et Jean-Luc Pouthier, Paris, 1996 ) . Pour Bobbio, qui se qualifie lui-même de socialiste libéral, la ligne de partage entre droite et gauche se fait par rapport à l’idéal d’égalité. Bobbio est conscient que la notion d’égalité peut être mal comprise, mais ses explications montrent clairement que chez lui, il ne s’agit pas d’égalitarisme. Il considère que l’idéal d’égalité vise à dépasser les inégalités crasses entre êtres humains et peuples, entre riches et pauvres, entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas. Pour lui, il s’agit de «réduire l’inégalité entre les nantis et les démunis, ou à permettre à un nombre toujours plus grand d’individus d’être moins inégaux par rapport à ceux qui sont favorisés par la naissance ou la condition sociale.» Parmi les acquis qui répondent à l’idéal d’égalité, Bobbio compte le droit de vote des femmes et les droits sociaux tels qu’ils sont formulés dans la Déclaration des droits humains (par ex. le droit à l’éducation, au travail, à la santé).

En bon optimiste, Bobbio est persuadé que la poussée vers une égalité toujours plus grande entre les humains est irrésistible: «tout ce qui permet de dépasser une des discriminations sur la base desquelles les hommes ont été divisés en supérieurs et inférieurs, dominateurs et dominés, riches et pauvres, maîtres et esclaves, représente une étape…. du processus de civilisation.»

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L’égalité dans un monde fini

On retrouve cet idéal d’égalité dans des écrits traitant d’écologie politique. A propos de l’éthique de l’engagement écologique, le député Vert français Alain Lipietz évoque un sentiment de solidarité avec tous les vivants, et donc tous les humains ( Alain Lipietz, Qu’est-ce que l’écologie politique? La Grande transformation du XXIe siècle, Paris, 1999 ). Selon Lipietz, c’est un seul et même respect, envers les humains comme envers les animaux et la nature, qui fonde l’écologie politique.

L’idéal d’égalité est également à la base des discussions sur la répartition équitable des ressources (FAIR FUTURE. Begrenzte Ressourcen und globale Gerechtigkeit. Ein Report, hrsg. vom Wuppertal Institut für Klima, Umwelt, Energie. Munchen 2005 ) ou sur l’empreinte écologique. On y part du principe que chaque être humain, chaque peuple a le même droit de vivre dignement. Ceci suppose une répartition équitable des ressources à l’échelle de la planète, et que les pays industrialisés réduisent drastiquement leur consommation de ressources naturelles, si on ne veut pas provoquer une catastrophe écologique.

Le même droit à une vie digne

Il est clair que chez nous aussi, les affrontements politiques et économiques sont marqués par la lutte pour plus ou moins d’égalité. Dans différents domaines, les inégalités vont croissant, au lieu de se réduire. Il suffit de penser à l’écart toujours plus grand entre les salaires des managers et celui des employés, aux lois sur l’asile et sur les étrangers, qui accentuent les inégalités entre Suisses et étrangers, à l’exclusion croissante des invalides, et bien d’autres. Les Verts ne peuvent pas se tenir à l’écart de ces affrontements, ni de gauche, ni de droite. Ils doivent décider s’ils veulent contribuer à réduire les inégalités ou s’ils veulent les conserver. D’après leurs statuts, les Verts doivent s’efforcer de «dépasser le cadre traditionnel de l’opposition gauche-droite». Ce cadre ne sera dépassé que lorsque les inégalités auront disparu, quand le même droit à vivre dignement sera accordé à tous.

Hubert ZURKINDEN
Secrétaire général des Verts suisses

Source : Bulletin vert n°1, mars 2006, disponible sur le site des verts suisses.

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Cet article a 8 commentaires

  1. Tonio

    Ta demande de pragmatisme 😀 me semble pas mal déplacée … car le pragmatisme de droite on le connait, laissons faire le marché qui, comme c’est une sainteté, va régler tous les problèmes …, retourne manifester pour le CPE et soutenir Villepin y sarko, il ont des bonnes méthodes de droite … zéro en démocratie et en construction, tout dans la Police y la « débiliration ».
    J’aime beaucoup la conception de ton prof S427, il serait intéressant d’approfondir pour voir comment on peut intégrer les concepts d’éco dans un modèle plus grand, plus vaste et plus interessant qu’est l’écologie

  2. jcv

    C’est sans doute là le mal de l’écologie: Vouloir mettre l’homme au premier plan, alors que c’est lui-même qui est à l’origine de la (triste) nécessité de l’écologie!

    Mais l’écologie, ce n’est pas seulement se battre contre le nucléaire et l’effet de serre, bon sang ! C’est aussi et peut-être avant tout comprendre comment vivre en harmonie avec la nature.

    Si l’homme doit être au premier plan, cela ne doit pas être n’importe comment ou à n’importe quel prix. Et je crois dangereux et mysanthrope d’accorder plus de vie à un être animal qu’à un être humain.

    L’écologie, c’est prendre conscience du monde qui t’entoure; tu l’aime parce que tu sais que tu en fais partie, pas parce qu’il y aurait antagonie entre l’être humain et celui-ci.

    Ton argument me rappelle un peu une discussion que j’avais eu en cours à l’institut que nous fréquentions l’an dernier avec un diplomate indien, qui me disait que sous prétexte de ce principe de distribution égale des resources, son pays ainsi que tous les pays émergents avaient un droit à polluer! Il invoquait le fait que nous l’avons fait pour nous développer donc qu’eux aussi y ont droit, et invouait justement cet argument là. Mais peut-être t’ai-je mal compris, auquel cas tu pourras j’en suis sûr me clarifier tout cela!

    Egalité matérielle ne signifie pas égalité de polluer. Je comprends pas bien le rapport entre une distribution égale des ressources et une destruction uniformes de celles-ci… Comment peux-tu en déduire que j’approuverais ton diplomate indien ?

    J’épouse totalement ce que dis s427, et attends toujours que tu répondes à l’arguement de fond sur l’écologie, D…

  3. s427

    Moi j’ai souvenir des cours d’écologie que j’ai suivi il y a une dizaine d’années, et le prof avait justement commencé son cours en définissant l’écologie comme la science qui était apparue parce que l’économie traditionnelle avait failli et n’avait pas su tenir compte de la place de l’homme dans son environnement. Autrement dit, l’écologie est une version « augmenté » de l’économie, qui adopte une perspective plus globale et considère le monde comme un tout. Dans cette optique, qui me semble très sensée, l’écologie ne se préoccuppe pas de « la nature, par opposition à l’homme« , mais bien plutôt de « la nature, dont l’homme fait partie« . Considérer les deux domaines (l’homme, la nature) comme des ensembles distincts et imperméables me semble une approche assez restreinte et même très trompeuse (erreur de l’économie traditionnelle, comme je le disais plus haut).

  4. D.

    Psykotik:
    Nous n’avons alors pas du tout la même définition de l’écologie! Pour moi (qui suit de droite, comme tu le sais, aucun doute là dessus! Au passage, vive la claque que vient de se manger Blair, mais c’est un autre débat! 🙂 ) l’écologie est avant tout la protection de l’environnement et des resources, finies, là je suis d’accord! Par conséquent c’est le sort de la planète au niveau « naturel », ce qui entraîne bien évidemment la survie de l’homme, puisque sans diversité biologique, sans climat vivable pour notre espèce, nous sommes voués à disparaître. Mais, pour moi, l’écologie n’a absolument pas pour but de défendre l’humain en tant que tel, du moins ce n’est pas un but direct, mais plutôt indirect comme je l’ai dit. Je suis d’accord avec toi quand tu dis que l’écologie ne peut donc être de droite, mais seulement si tu donnes à celle-ci la définition que tu lui donnes.
    C’est sans doute là le mal de l’écologie: Vouloir mettre l’homme au premier plan, alors que c’est lui-même qui est à l’origine de la (triste) nécessité de l’écologie!
    Ton argument me rappelle un peu une discussion que j’avais eu en cours à l’institut que nous fréquentions l’an dernier avec un diplomate indien, qui me disait que sous prétexte de ce principe de distribution égale des resources, son pays ainsi que tous les pays émergents avaient un droit à polluer! Il invoquait le fait que nous l’avons fait pour nous développer donc qu’eux aussi y ont droit, et invouait justement cet argument là. Mais peut-être t’ai-je mal compris, auquel cas tu pourras j’en suis sûr me clarifier tout cela!
    L’écologie peut donc être de droit comme de gauche. Laissons pour une fois les considérations idéologiques de côté pour être pragmatique (tu ne m’en voudras pas de te demander cela, malgré ton amour invétéré pour la France et son cartésianisme!): Le but suprême est le sauvetage de la planète bleue et de notre environnement dans toute sa diversité. Un homme de droite peut tout autant le souhaiter qu’un homme de gauche car c’est une fin en soi, et quelque chose contre lequel personne ne peut être contre!

  5. jcv

    clic : peut-être devrais-je lire econoclaste, parce que j’ai rien compris 🙂 Enfin, je t’avoue que la vision économiste de l’univers m’intéresse assez peu au final. Bien que l’équipe d’econoclaste soit, après un rapide survol, de loin au-dessus de la moyenne dans la discussion économique. Bien qu’ils s’en défendent, l’humain en économie n’est qu’une variable.

    D. : tu ne réponds pas aux arguments avancés par l’auteur… car si pour toi il y a défaillance au sein des partis classiques à intégrer ou pas les problèmes écologiques, Zurkinden explique que la droite ne peut idéologiquement le faire… !

    Pour les écologistes, fondateurs des mouvements Verts, les ressources sont finies. Ce qui implique un juste répartition des ressources entre les individus peuplant la Terre. Ce qui, de facto, implique une égalité… matérielle. L’égalité matérielle est combattue farouchement par l’idéologie de droite, et est presque à elle seule à l’origine du clivage gauche-droite. Comment voudrais-tu que l’UMP intègre l’écologie ? C’est matériellement impossible. Les moyens sont différents comme tu le soulignes, et les moyens de la droite empêchent tout incorportations des idées vertes.

    Quant au front vert français, tu m’excuseras, mais sa dispersion ne date pas d’aujourd’hui. Il n’a jamais réussi à se fédérer, est composé de dizaines de mouvances incohérantes entre elles. L’exemple français est à ma connaissance unique (à ce degré) en Europe.

    Les seuls verts de droite que je connaisse sont les Verts brésiliens. Pour qui, sous prétexte de sauver l’Amazonie, approuverait tout plan d’éradication de la population autochtone. J’espère que les Verts européens ne vireront jamais à droite 🙂

  6. D.

    J’ai pas tout compris (dézonage à Galmiz???) sur les considérations suisso-suisses, mais pour le reste, tu vois, c’est pour cela que je ne voterai jamais pour les Verts, du moins dans leur état actuel, alors que je suis tout à fait pour la protection de l’environnement, qui est certainement l’enjeu majeur aujourd’hui, et surtout le plus urgent.

    Le problème est que justement ces partis ne devraient même pas exister. Je m’explique: L’écologie dépasse les clivages politiques selon moi. On peut tout à fait être de droite et vouloir protéger l’environnement et le respecter. Tu me répondras que non, car la logique capitaliste veut que l’on produise toujours plus et au moindre coût et que le plus souvent, cela est incompatible avec la protection de l’environnement. Certes. J’en conviens, mais cette « esprit » ne concerne que très peu de monde au final, donc on ne peut pas dire que la droite soit anti-environnementale!

    Malheureusement donc, les partis « classiques » n’ont pas su intégrer un programme écologique digne de ce nom, ce qui a conduit à l’émmergence de ces partis. Ces derniers se sont malheureusement laissés prendre au jeu, et se sont sentis obligé de prendre position sur des sujets qui ne sont par leur but premier, loin de là (c’est surtout vrai pour les Verts français). Au final, ils font mal leur travail (là encore je parle essentiellement de la France, car il est vrai que c’est bien différent en Allemagne par exemple) et se disperses, perdant de ce fait aussi un peu de leur pouvoir d’attraction, et perdant des électeurs potentiels qui seraient prêts à voter pour eux mais qui ne le font pas car ils sont de gauche.

    Quand il nous dit qu’ils ont pour but de réduire les inégalités et de les faire disparaître, et que seule la gauche recherche cela, permet moi de sourire, pour ne pas dire rire… Comme si la droite cherchait à les maintenir et à les creuser! On poursuit tous le même but, simplement nous avons des moyens différents pour y parvenir.

    C’est aussi pour cela que le front vert se disperse aujourd’hui et qu’on assiste à une multiplication des candidatures: Voynet, Lalonde (vert de droite), Lepage (verte du centre) et même Nicolas Hulot (lui franchement UMP pour le coup). A partir du moment où les verts ont trempés dans la logique de parti politique, ils ont perdus de leur superbe et sont devenu un parti comme un autre, avec son lot de gue-guerres internes et autres magouilles… Et c’est bien dommage!

    Voilà pour quelques premières réflexions à chaud…

  7. clic

    Voila ce qui me manquait, hier soir pour répondre à econoclaste mais que je n’ai pas réussi à clairement formuler. Il évoquait des travaux selon lesquels l’hétérogénéité ethnique d’une population oblige à réduire les politiques sociales, puisque la population ne veut plus aider des pauvres qui seront plus facilement considérés comme responsables de leur malheur. Mais avec Bobbio, dès lors que les inégalités (voir les différences) ne sont pas naturelles, mais s’inscrivent dans une histoire (c’est ce qui est implicitement reconnu dès lors qu’on considère possible d’égaliser les conditions, ce qui serait la profession de foi de la gauche) la question de l’hétérogénéité est en soi le problème contre lequel on lutte, il n’est pas un élément « solide » qui définit la politique, mais un objet de politiques.
    NB: ce passage est innompréhensible si vous ne lisez pas econoclaste, désolé…

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