Comment Jean Ziegler se fit élire au Conseil des droits de l’homme

Un article soupçonneux sur la récente élection de Ziegler, qui passe de rapporteur spécial sur l’alimentation au Conseil consultatif du Conseil des droits de l’homme. Mais comment pourrait-il en être autrement, avec l’homme qui voit des complots partout ?

Jean Ziegler le vieuxJean Ziegler est connu pour ses engagements sociaux et politiques, sa fougue à défendre la veuve et l’orphelin, ses appuis dans la société civile et dans les pays en développement. Sans oublier son opposition virulente aux carburants issus de l’agriculture. Il en a récolté le fruit le 26 mars lors de son élection triomphale au comité d’experts du Conseil (voir encadré). Il finira pourtant son mandat de rapporteur sur l’alimentation par une curieuse concession aux carburants « verts » brésiliens.

En octobre 2007 à New York, le rapporteur des Nations Unies sur le droit à l’alimentation critiquait en effet sévèrement la production d’agrocarburants, y compris au Brésil où, écrit-il, « le Mouvement (…) des sans terre a déjà dénoncé « l’esclavage » auquel sont soumis les ouvriers de certaines plantations ».

Mais surprise, lors de la présentation orale de son rapport, le 11 mars dernier devant le Conseil, Jean Ziegler a mis de l’eau dans son vitriol. « La situation au Brésil est différente des autres producteurs de biocarburants », a-t-il estimé, d’une part parce que ce pays n’utilise pas d’aliments comme le maïs, mais la canne à sucre ». D’autre part, parce que le programme brésilien a une « forte composante sociale » qui bénéficie à des paysans marginalisés. « En conclusion, lança le rapporteur, la production de biocarburant du Brésil respecte le droit à l’alimentation de la population et aide à sortir les paysans marginalisés de la pauvreté ».

Que s’est-il passé ? Jean Ziegler a-t-il voulu se concilier les bonnes grâces du Brésil à la veille de l’élection du « comité d’experts » où il vient d’être élu, comme le suspecte un correspondant brésilien au Palais des Nations à Genève ? La mission brésilienne auprès du Conseil des droits de l’homme dément tout arrangement. « Jean Ziegler est un ami du Brésil. Nous avons discuté avec lui après sa présentation à New York, et lui avons présenté notre position ». Atteint par téléphone par Tribune des droits humains, Jean Ziegler juge « absurde » l’accusation d’avoir modifié sa position pour des raisons électorales. « Les discussions avec le Brésil ont eu lieu avant Noël l’année dernière, nous avons eu des débats très vifs. Ils m’ont convaincu que le Brésil est un cas à part. Ma présentation orale était la première occasion qui se présentait de faire part de ces discussions ».

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Pourtant on ne compte plus les publications et études sur la politique des agro-carburants au Brésil qui insistent sur ses effets néfastes. Elle pousserait notamment les paysans évincés par la monoculture de la canne à sucre ou du soja à défricher la forêt pour planter de quoi vivre, sans parler des conditions de travail dans les plantations, dénoncés par Ziegler lui-même dans son rapport comme « proches de l’esclavage ». Quant aux « programmes sociaux » qui aident les paysans appauvris, ils existent, mais sans commune mesure avec les grandes industries de la canne à sucre et du soja. De plus, cette production est prévue pour être mélangée à du biofuel de production industrielle. Ce qui fait dire à une étude parue en février de cette année [1] que « malgré l’intention affichée, le programme de biodiesel [pour les petits paysans] offre en fait un marché supplémentaire à la chaîne consolidée d’agrobusiness contrôlée par les géants américains tels que Cargill, ADM et Monsanto. »

Jean Ziegler s’est-il pris les pieds dans le tapis ? Pas du tout, explique-t-il, « mon mandat touche au droit à l’alimentation et le Brésil utilise des ressources qui n’en font pas partie au sens strict. Donc pour moi, il respecte ce droit ». Ses afficionados comme ses critiques lui ont connu une vision plus ambitieuse de sa mission. Il lui restera à expliquer sa nouvelle position à la société civile dont il se réclame souvent, et souvent avec raison, lorsqu’il lance ses attaques contre les cultures industrielles, les transferts de populations paysannes et les sociétés transnationales.

Références

  1. Food and Energy Sovereignty Now : Brazilian Grassroot Position on Agroenergy. Camila Moreno avec Anuradha Mittal. Terra de Direitos, Oakland Institute, Février 2008[]
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Cette publication a un commentaire

  1. DAM

    Je ne suis pas surpris. Il n’aurait pas pu accéder à ce poste sans donner la garantie préalable qu’il était capable de lâcher des compromis -sions.

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