A en croire les économistes qui font volte-face sans tabou depuis le mois septembre 2008, les règles du jeu national, voire internationale vont s’en retrouver changées. L’Etat, longtemps absent grâce au consensus néo-libéral regano-thatchérien de la fin des années 70 – début 80, va réimposer des règles et même une morale à ses citoyens. Terminé le désengagement et le laisser-faire, voici venu à nouveau le temps des politiques keynésiennes (investissement de l’Etat dans l’économie) et du grossissement étatique propre aux périodes de crises. L’Etat va enfler, se boursouffler sous les nouvelles tâches; mais le régime alimentaire de ces dernières années était-il vraiment si frugal ? Ou au contraire, n’est-ce qu’une obésité plus prononcée qui se profile à l’horizon ?
Les tâches de l’Etat n’ont cessées de se multiplier au fil des ans, avec la régularité d’un métronome. Il est peu d’invasions dans la vie privée de ses citoyens que l’Etat se soit refusé. Au nom de la lutte contre le terrorisme, l’Occident n’a cessé de multiplier les immixtions et de densifier son contrôle sur ses habitants. Tests ADN qui deviennent la règle, empreintes génétiques dans les passeports, des pays autrefois réfractaires aux cartes d’identité se mettent au diapason (la Grande-Bretagne), vidéo-surveillance pour “le bien commun”, échange d’informations entre les différents départements administratifs, surveillance électronique, bref, l’Etat-nation n’a jamais, au cours de sa courte histoire, autant développé ses moyens de contrôle à l’égard de ses habitants. Les bases de données sur les citoyens contiennent une quantité d’informations gigantesque. Les citoyens étant ainsi plus liés que jamais à leur Etat, qui sait tant de choses sur lui, il n’a jamais été aussi difficile de se déplacer (hors UE) en temps de paix, le ramifications de l’Etat s’étant étendues dans toutes les sphères privées. Fichage de millions de “trublions subversifs potentiels” en Suisse dans les années 90, fichage des habitudes de lecture pour les emprunts bibliothécaires aux USA par le biais du Patriot Act, l’Etat a rivalisé d’imagination pour surveiller sa population. Avec pour conséquence une explosion de la taille des Etats, étant amenés à répondre à de plus en plus de tâches de sécurité. Chaque type d’information est, nous assure-t-on, totalement compartimentée; quelque soit notre propre opinion sur ces assurances, ces informations existent, et leur collection coûte.
Cette croissance devrait avoir une contrepartie, car des tâches autrefois dévolues à ces mêmes Etats ont toutefois été privatisées. La téléphonie, l’énergie (toutefois avec un retour de balancier, dans ce cas précis) et l’eau figurent parmi les domaines d’importance autrefois dévolus à l’acteur étatique, et sont aujourd’hui régis par des règles libérales. Mais la sécurité, bien que parfois sous-traitée, est restée l’apanage d’Etats, soucieux de la protection de son territoire. L’on constate ainsi, ces 30 dernières années, un gonflement étatique dans certains secteurs, au détriment de (au sens large) l’économie. Les prérogatives régaliennes (sécurité et défense nationales), souci par excellence des néo-libéraux, n’a cessé de s’affirmer avec vigueur, avec un coup d’accélération au lendemain du 11 septembre 2001. Avec l’exception notable, en Europe, de la défense (inter)nationale; les dépenses dans ce domaine sont restées plutôt stables, au contraire de la sécurité intérieure, qui a connu une explosion de l’offre et de la demande.
Et encore, le désengagement de la sphère économique n’est pas si évident que cela. Car avec la multiplications des échanges, la production de règles s’est intensifiée; le lieux commun qui voudrait que les Etats se désengagent du secteur économique n’est vrai qu’en partie. Des organismes inter et supra nationaux (OMC, UE, Forums intercontinentaux) ont vu le jour depuis la fin de la IIe Guerre Mondiale. Dans le dogme (néo)libéral, l’intensité des échanges participe à la croissance économique commune (et accessoirement, à la paix dans le monde). Faisant leur ce postulat, les Etats ont mis tout en oeuvre pour faciliter au maximum ces échanges; ce qui a eu pour effet paradoxal, phénomène éminemment visible en Europe, d’édicter une quantité invraisemblable de règles pour que les échanges se fassent sur un pied d’égalité pour tous les acteurs. Ainsi, pour “libérer le marché des contraintes étatiques”, la CEE, puis l’UE ont produit toutes sortes de lois calibrant la taille des marchandises, les tests hygiéniques qu’elles devaient subir, etc, avec pour conséquence l’engagement d’une armée de fonctionnaires veillant à leur bonne application. Créer les cadres favorables à une concurrence transparente et équilibrée a ainsi eu pour effet d’agrandir encore l’Etat et de créer de nouveaux organismes soutenus par l’Etat. L’Etat a ainsi, en période de croissance des échanges post-IIe GM, crût y compris dans le secteur économique; ce qu’il faisait sortir par la porte rentrait par la fenêtre.
Les Etats, dont on attend ces prochains mois, ces prochaines années, un élargissement de leur champs d’activité, ne partent donc pas d’une croissance zéro de leur activité; par contre, ils vont avoir à composer avec une croissance proche de ce chiffre. En conséquence, il risque de se produire une réaffectation des ressources allouées, même si les domaines qui en pâtiront ne sont pas encore discernables. Mais réaffectation, il y aura : avec une croissance amoindrie, voire négative depuis quelques mois pour certains Etats, des choix devront être opérés. On lâche les milliards requis par la situation d’urgence, mais l’hypothèque sur l’avenir devra un jour être réglée; au détriment de qui se fera-t-elle ? Ne nous leurrons pas, notre survie économique a un coût. Il faudra bien passer à la caisse un jour ou l’autre.
L’Etat a crû ces dernières années. L’Etat ne fait d’ailleurs que croître depuis l’invention de l’Etat-nation, et les attentes sans cesse multipliées par les nouvelles problématiques (terrorisme, écologie, discussion entre nations) et les attentes toujours plus élévées de la part des citoyens. La tempête économique qui s’est levée accélérera encore cette croissance; mais il faut une sacrée dose d’hypocrisie (ou de cécité, c’est selon) pour affirmer que “l’Etat est de retour dans l’économie”. Il ne l’avait jamais quitté.