Poids des mots et mots pesants II – C’était pire que prévu

Le précédent article Poids des mots et mots pesants : commentaire à « Risque zéro pour les voleurs? » du Temps a surpris plus d’une personne de mon entourage.

Que dire de celui-ci ? Je reproduis la réponse tout en finesse de M. Miauton :

Monsieur,

Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage… Mes mots que vous jugez blessants ne l’étaient guère en regard de la façon dont vos amis ont injurié la Suisse face à des médias complaisants.

Mais sachez que je suis moi-même née au Maghreb et que le mot « smala » évoque une famille, souvent grande et unie, et que le mot n’est pas péjoratif.
N’avons-nous pas une émission de radio ainsi intitulée ?

Quant au mot transhumance, il est également souvent utilisé pour les humains et l’idée du bétail ne m’a pas effleurée. Auriez-vous l’esprit mal tourné?

Merci toutefois de votre lecture et de votre réaction. Tous les avis comptent.

Sincèrement.

Marie-Hélène Miauton

Choqué par une réponse à l’entrée en matière si révoltante, je me suis empressé de fendre de ceci :

Madame Miauton,

Merci de m’avoir répondu. Même si le ton, les mots utilisés confirment que décidément, nous n’avons rien en commun. Au moins jouez-vous le jeu, et c’est rassurant.

Ce qui est moins rassurant, c’est qu’après les références bovines (transhumance), voilà arriver les « tuer son chien » et « rage » ? Pensez-vous qu’attribuer des métaphores animales à des êtres humains soit approprié ?
Surtout qu’en l’affaire, nous parlons d’un… vol ? A la conclusion dramatique, mais un vol à l’origine. Votre passage sur la smala et vos origines maghrébines, juste après avoir ajouté une couche sur les « chiens », c’est du grand art; sauf que l’on se demande si vous tenez un pinceau ou une enclume. En d’autres temps, on niait la nature humaine des juifs, des tsiganes, des Noirs pour faire accepter les atrocités commises à leur encontre. On mettait également en avant « l’animalité » des individus sur le point de passer à l’échafaud, pour rappeler, qu’après tout, l’acte qu’on s’apprêtait à commettre ne serait jamais reproduis sur le spectateur, qui lui, n’était pas un animal. Vos métaphores à répétition participent du même processus; extraire de l’humanité un être humain, Hannah Arendt l’a étudié bien avant votre chronique. Visiblement, vous ne l’avez pas lu, ou retenu la leçon.

Ce qui est tout aussi peu rassurant, c’est de constater l’univers manichéen dans lequel vous vous débattez. Non, je ne défendais pas mes « amis », je ne connais aucune personne impliquée dans l’affaire. Vous demander de faire attention aux mots choisis, de justifier vos assertions dans une affaire où un jugement n’a pas été rendu, ne fait pas de moi un « ami » des personnes impliquées. Cela accrédite au moins mon hypothèse première (pas de preuves, que des « opinions » dignes d’un journal de boulevard), et me permet de découvrir que si l’on est pas « avec vous », on est « contre vous », sans discrimination aucune. Quand on sait les désastres provoqués par ce type de psychologie, je ne peux que déplorer de voir qu’on puisse persister à s’engager dans cette impasse.

Laissez-moi enfin conclure en vous disant que lorsque vous écrivez une telle chronique, avec des mots si méprisants et des assertions aussi gratuites, en niant le droit à l’humanité et à la présomption d’innocence, c’est la société dans son ensemble qui est touchée. Toute personne se sentant touchée par la mort d’un voleur n’est pas forcément ami de voleurs. Toute personne trouvant un avocat n’est pas forcément membre du « milieu ». Tout comme toute personne écrivant une chronique, fût-ce dans le Temps, n’a pas forcément quelque chose d’intéressant à dire.

Par contre, tout être humain fait partie de l’humanité de sa naissance à sa mort, avec les droits et les devoirs inhérents à l’appartenance de cette famille; aucun doute sur ce sujet n’est permis.

Nous ne nous mettrons pas d’accord, j’en ai conscience; mais ayez à l’esprit, lors de la lecture de mes mots vifs, que c’est en qualité de citoyen, suisse, acteur et bénéficiaire de cette société, que votre chronique (et votre réponse) m’a interloqué. Et que j’y réagis en mon nom propre, mais aussi au nom des valeurs qui composent cette société et dont vous semblez vous soucier comme… d’un vague animal.

Meilleures salutations.

0
0
Lire aussi  Milan Kundera, ses accusations et son oeuvre

Cet article a 3 commentaires

  1. Julien

    Héhé, oui, c’est le sens de l’expression je pense. Sinon je t’ai envoyé un mail camarade…

  2. jcv

    T’es le deuxième à me dire que j’ai mal compris son histoire de clébard… qui me disait qu’on pouvait l’utiliser « pour signifier que pour nuire à quelqu’un, on le fait avec des calomnies. » je vais finir par être d’accord avec vous.

    J’aurais donc certainement dû, au vu de l’expression utilisée, m’étonner de voir quelqu’un violant la présomption d’innocence me prêter la volonté de la calomnier.

    Trop tard. Merci en tout cas de contribuer à me rendre moins singe. C’est que je risque de me faire flinguer pour moins que ça, dans ce pays…

  3. Julien

    Ola l’ami, je sens que ton côté voltairien s’emporte! Je ne prends pas position sur le débat lui-même (même si tu imagines aisément de quel côté je penche), mais juste sur la métaphore « Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage », je ne pense pas qu’elle traitait qui que ce soit de chien, mais qu’elle voulait dire que tu caricatures le discours qu’elle tient (qu’elle doit estimer « dérageant ou « politiquement incorrect »), pour mieux pouvoir le battre en brèche. Bref, that’s all…

Laisser un commentaire