• Publication publiée :12/2/2011
  • Post category:Politique

Egypte : la grande occasion manquée

Ça y est, le décor est définitivement posé. Après avoir vainement espéré rester encore quelques temps au pouvoir, le président Moubarak a lâché les reines du pouvoir au pays des Pharaons. Des milliers, des millions d’Égyptiens ont eu sa peau : l’Égypte, à la suite de la Tunisie, souhaite expérimenter la démocratie en terre d’Islam. Je me souviens d’un égyptologue égyptien me racontant il y a quelques années de cela que l’Égypte était fière d’avoir obtenue son indépendance avec Moubarak, soumise qu’elle était à des peuplades étrangères depuis près de 3000 ans. Je réalise combien sa fierté était mal placée : si l’indépendance gouvernementale était effectivement acquise depuis Moubarak, l’indépendance populaire restait, elle, en gestation. L’accouchement tant attendu, avec douleur certes, mais bien en-deçà de ce que nos fantasmes prévoyaient, a eu lieu vendredi 11 février 2011. La renaissance de l’Égypte internationale n’aura été qu’un prélude à la renaissance nationale. L’enfant est robuste, 85 millions d’habitants, il se porte bien et est plein d’espoir; nous attendrons toutefois pour diagnostiquer son avenir encore quelque temps. Mais un avenir, le Peuple égyptien peut en avoir un. Il peut le gâcher, mais ne parlons pas de malheur lors d’un évènement aussi magnifique qu’une mise au monde.

Les Égyptiens ont su saisir leur chance. Inspirés, suivant leur instinct, ils ont saisi une opportunité sur laquelle personne n’aurait misé un sou il y a 4 semaines. Mes félicitations pour leur intelligence, leur courage, leur retenue. Habités par une maturité politique difficile à concevoir pour un peuple soumis à la dictature, ils ont meublé leur révolution alors qu’ils étaient dépourvus de tout matériau. Admiration, joie et respect forment le seul triptyque devant modeler notre vision de l’Égypte en ce jour d’apothéose.

Il en va différemment de l’Occident. Démontrant tout son cynisme, son hypocrisie, ses habitudes héritées de l’époque coloniale, les pays occidentaux sont les grands perdants du changement de régime. D’Obama à Berlusconi, en passant par une Union européen aphone (quelques déclarations d’encouragement très sympathiques ont été noyées dans la cacophonie technocratique habituelle), les champions de la démocratie se sont faits couards. Ils ont ainsi démontré que la démocratie est une structure politique peu soumise à l’oubli : la vision héritée du colonialisme s’est muée en néo-colonialisme. La démocratie doit rester l’apanage d’une poignée de pays sérieux et mûrs; ces pauvres musulmans n’auraient « pas été prêts », comprend-on entre les lignes. L’Égypte, lorsqu’elle se sera muée en démocratie (espérons-le), saura s’en souvenir.

Ce faisant, en refusant de s’engouffrer à la suite de l’appel d’air démocratique qui a soufflé en Égypte, l’Occident a manqué l’occasion de se définir en qualité de chantre sincère de la liberté des peuples. En soutenant un dictateur sur le départ, parce qu’utile géostratégiquement pour stabiliser la région moyen-orientale, l’Occident a démontrée qu’elle est l’alliée de la stabilité et non de la liberté et des droits de l’homme. En choisissant le dirigeant plutôt que le peuple, son hypocrisie s’est étalée au grand jour : les remontrances et altercations sur les droits de l’homme n’ont pour base que la stabilisation d’un pays, et non la défense d’un principe et le bien-être d’un peuple étranger. La défense des droits de l’homme n’a pour objectif, en somme, que la défense de notre mode de vie occidental, risquant d’être remis en cause par la déstabilisation de nos habitudes politiques.

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Il est vrai que le risque existe aujourd’hui que l’Égypte s’enfonce : certains individus peu recommandables vont chercher à s’accaparer le pouvoir. Le peuple égyptien n’est qu’au commencement de sa lutte. Mais à quel titre pouvons-nous, nous Occidentaux, juger du bien-fondé de tenter l’expérience ? Pourquoi une telle timidité à soutenir les aspirations populaires d’un peuple affamé, brimé par un régime autocratique ? Ici entre en jeu une vision héritière du colonialisme : le musulman est incapable de se prendre en charge, sans homme fort c’est le chaos. Cinquante ans après la fin de la colonisation, c’est un Occident toujours aussi adepte des thèses de Kipling qui avance à visage découvert. Nous avons si peu appris que c’en est désespérant.

Cette occasion manquée de l’Occident, c’est aussi celle d’avoir su couper l’herbe sous le pied de l’islamisme radical, qui pour défendre ses appels à la guerre sainte, ne manque jamais de dénoncer l’hypocrisie occidentale. Sous couvert de défendre la démocratie, elle s’allie avec les ennemis des musulmans, les dirigeants autocrates. Si l’Occident, Barak Obama en tête, avait pris avec conviction la défense du peuple égyptien (en d’autres termes, plus que simplement inviter l’armée à faire preuve de retenue), il aurait pu démontrer la force d’une amitié avec la population musulmane qui aurait jeté du sel sur le terreau fondamentaliste. Au lieu de cela, l’Égyptien est parti en guerre seul contre tous : contre les dictateurs voisins, soucieux de protéger leurs propres trônes, et contre les démocraties occidentales, rivées sur des fauteuils formés par des habitudes séculaires. L’Occident, comme à son habitude, poursuit à renforcer son propre ennemi : le discours du Caire de Barak Obama a fait long feu, chassez le naturel il revient au galop. Par manque d’imagination, nous n’avons pas saisi la chance impensable de nous créer une légitimité trans-religieuse, de pratiquer un oecuménisme démocratique. Notre intérêt, en qualité de démocrates, était de combattre les adversaires radicaux; par couardise, paresse et arrogance, nous voilà confortés dans l’image véhiculée au Maghreb et Mashrek, celle de donneurs de leçons surtout mus par leur égoïsme. Qui pourrait les en blâmer ?

Il est urgent aujourd’hui de reprendre l’initiative. Sans folie, rien ne change pour personne; hors, du changement, au vu des défis globaux à relever, nous en avons besoins. Évidemment, les risques que la révolution égyptienne tourne mal sont réels; mais l’Europe, qui a payé le prix de sa démocratisation au coût de la IIe Guerre Mondiale, qui est-elle pour expliquer que le risque n’en vaut pas la chandelle ? Pourtant, soixante après la catastrophe, personne ne s’imagine guerroyer dans le continent. Qui serait assez extra-lucide pour voir que cette possibilité n’existe pas dans le monde musulman ? Ah oui, une cohorte de dirigeants occidentaux timorés. Il est pourtant temps pour tous de comprendre que la redistribution des cartes géopolitiques a débuté, et que le courage politique, c’est aussi défendre des principes en pratique, non pas seulement sur le plan théorique.

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Chers amis égyptiens, tous mes voeux d’espoir vous accompagnent pour les rudes batailles qui vous attendent. Vous êtes à l’orée d’un monde de possibilités, puissiez-vous faire les bons choix. Que votre soif de liberté ne s’arrête jamais; la démocratie, c’est mieux, mais la soif reste vivace même dans un tel régime politique.

Salam Aleikoum.

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