Daniel Deuzoumbé Passalet, leader de la société civile et président de l’association ” Droits de l’Homme Sans Frontière (DHSF)” au Tchad
Suite à une déclaration faite sur Radio France Internationale (Rfi), dans l’affaire de Matta-Léré, M.Daniel Deuzoumbé, leader de la société civile, qui préside à la tête de l’Association tchadienne des Droits de l’Homme Sans Frontière (DHSF), a été interpellé le 19 décembre 2011 par M.Mahamat Saleh, procureur prés le Tribunal de première instance de Ndjaména. Il a été auditionné, arrêté à la police judiciaire avant d’être transféré puis détenu arbitrairement pendant deux semaines au tristement célèbre bagne de Moussoro à 300 km de Ndjaména.
Libéré à l’approche des fêtes de fin d’année, il nous a accordés une interview dans laquelle, il critique, dénonce et pointe du doigt, Me Bernard Padaré comme le premier responsable de son incarcération.
Il s’insurge contre l’absence de liberté d’expression et d’opinion au Tchad, la menace qui pèse sur les citoyens qui souhaitent s’exprimer librement dans un espace politique de plus en plus verrouillé.
Il conseille au régime d’Idriss Deby de lire les signes du temps et d’éviter de limiter l’espace des libertés publiques aux citoyens avec des pratiques discriminatoires et autres actes provocateurs. Car le printemps arabe est un indicateur non négligeable et que rien ne peut arrêter la volonté populaire.
Par ailleurs, le défenseur des droits de l’homme tchadien attend de la France de réfléchir au changement politique au Tchad. Car, dit-il, le peuple tchadien aspire à ce changement et que Paris doit se rapprocher des peuples d’Afrique pour s’éloigner des dirigeants autocrates et véreux qui persistent à se maintenir au pouvoir par des moyens antinomiques aux règles
élémentaires du jeu démocratique.
Interview réalisée par Makaila Nguebla:
Blogmak : Bonjour M.Daniel Deuzoumbé Passalet! Le 19 décembre 2011, vous avez été interpellé par le procureur de la République suite à une déclaration faite sur les antes de Rfi au sujet de l’affaire dite de Matta-Léré. Après votre audition, il vous a été notifié votre arrestation. Pourriez-vous revenir sur les circonstances de votre arrestation ?
Daniel Deuzoumbé : Bien merci pour votre question. En fait, comme vous l’avez si bien mentionné, j’ai été appelé au téléphone par le procureur prés le tribunal de première instance de N’Djamena, M Mahamat Saleh. Au moment où je devais aller, j’ai expressément posé la question à mes collaborateurs en ces termes « le procureur m’appelle pour me faire arrêter, y’a-t-il quelqu’un parmi vous qui voudra aller en prison avec moi pour la cause que nous défendons ? tous ont dit oui. Alors, j’ai désigné un militant, Cherif Choukou pour m’accompagner sachant qu’un autre activiste de mon organisation, Singniba Tites m’attendait déjà devant le bureau du procureur. J’ai pris du temps pour informer Amnesty international.
Et Front on line et certains de nos partenaires locaux de cet appel du procureur. En route, M Massalbaye Tenebaye, président de la LTDH a demandé de nous accompagner.
Très vite, nous sommes arrivés au palais de justice et avons pu voir le procureur de la République. D’un air sérieux, le procureur m’a posé la question de savoir si c’est vraiment moi qui avais fait une déclaration sur Rfi la veille concernant l’enlèvement de la veuve du chef de Matta Léré assassiné par les villageois parce que soupçonné d’appartenir au réseau de preneurs d’otages contre rançon dans la région de Léré à l’extrême sud ouest du Tchad.
La réponse est formelle et affirmative.
Alors, le procureur de renchérir. Mais vous avez menti, la veuve n’a jamais fait l’objet d’enlèvement. J’ai demandé à son avocat de la conduire vers moi. C’est ce qui a été fait.
Vous aurez l’occasion de la voir et de l’entendre.
Je lui ai dit que l’enlèvement est bien différent d’une disparition. Elle a bel et bien fait l’objet d’un enlèvement. Alors, quand nous avons dénoncé cet enlèvement sur les antennes de la Rfi les auteurs de cet enlèvement l’ont relâchée dans le seul but de revenir dire que j’ai menti afin de me poursuivre judiciairement. D’ailleurs, la victime ne savait même pas que ce qu’elle a vécu s’appelle enlèvement..
Voilà ma source. Je lui ai donné le communiqué de presse publié par la belle famille de la veuve nommée Lahr Idi Rachel qui retrace l’évènement et qui confirme l’enlèvement de cette dernière par les hommes en arme au soir du 17 décembre 2011. Il a simplement déposé le communiqué à coté et n’a même pas fait cas. Alors, la discussion a continué en présence d’un autre témoin qui sera identifié plus tard comme le directeur de la police judiciaire qui est venu me chercher pour m’amener à son service.
A la question de savoir qui me poursuit ? le procureur se borne à dire « j’ai été saisi » par qui ? aucune réponse.
Très vite, le procureur ordonne au directeur de la police judiciaire de me conduire à son
service sur la base d’un simple mandat de dépôt enroulé dans une chemise rose. J’ai donc été
transféré sans dossier donc, sans aucune plainte.
Blogmak : où avez-vous été détenu à Ndjaména et comment vous avez été traité ?
Daniel Deuzoumbé Passalet : J’ai passé une nuit à la police judicaire sous haute surveillance. Mes téléphones avaient été arrachés et les contacts n’étaient pas autorisés. J’ai donc passé la nuit du 19 au 20 décembre 2011 à la police judiciaire.bon à savoir, j’ai été gardé dans ce même bureau par la police judiciaire en janvier 2008 quand j’avais dénoncé sur les mêmes antennes de la Rfi l’enlèvement d’un haut cadre du Ministère des Fiances Le lendemain de ce jour, c’est-à-dire le 20 décembre, la police m’a déféré devant le procureur pour une supposée confrontation avec Mme Lahr Idi Rachel conditionnée par Jean Bernard et à qui la parole devant le procureur avait été dictée. Parole a été donnée à cette dernière en vue de dire si oui ou non elle a été enlevée par les hommes en arme. La réponse est claire, non. Quand j’ai pu prendre la parole, le procureur me dit qu’il n’ya plus d’échange entre vous et moi. J’insiste et l’un de mes avocats me fait signe
de me calmer. Je me suis tu. Alors l’ordre fut donné à la police de me conduire à la maison d’arrêt via le box des prévenus en attendant le départ de la fourgonnette. Me Middaye me suit et parle aux gendarmes. Pourriez vous le mettre sur le banc dehors en attendant ? c’est le président de Droits de l’Homme sans Frontières ajoute –il ? les gendarmes acceptent. Peu après, les mêmes gendarmes me conduisent à la maison d’arrêt de N’Djamena à la chambre 13 où il y avait déjà 11 détenus.
A la police judiciaire tout comme à la maison d’arrêt, je n’ai pas fait l’objet de torture. J’ai été détenu ensemble avec les bandits et les criminels de tout genre. Ce sont les prisonniers de fois qui essayaient d’améliorer mes conditions de détention.
Blogmak : comment jugez-vous votre transferement à Moussoro, situé à plus 300 km de Ndjaména, loin de votre famille ?
Daniel Deuzoumbé Passalet : mon arrestation et mon transfèrement restent bel et bien les actes arbitraires sur la base d’un règlement de compte personnel de la part du Ministre des affaires foncières M Jean Bernard Padaré. Il a réussi à politiser mes actions dans le domaine des droits de l’homme afin de convaincre les plus hautes autorités de la République. Le contraire de ce que je dis ne convaincra personne en dehors de certains individus qui tournent autour de lui pour des raisons inavouées.
Ainsi, après une nuit à la maison d’arrêt, ils m’ont menotté et transféré à Moussoro au Nord du Tchad, localité située à plus de 300km. Ce transfèrement à Moussoro a bel et bien été réfléchi et tout a été fait pour que mon déferment puisse coïncider avec le transfèrement des autres prisonniers. Sinon, comment comprendre que lors de l’interrogatoire à la police judicaire par un officier zélé, il a été bien convenu de convoquer les signataires d’un communiqué de presse qui confirme mes propos sur Rfi afin de les auditionner. La police m’a même demandé de l’aider à la mettre en contact avec ces gens. Le lendemain, tout a changé afin que je puisse aller à Moussoro alors que la police n’avait pas encore bouclé son enquête. Cela ne l’a pas empêchée de conclure qu’il y’a dénonciation calomnieuse. Etant à Moussoro, cela pourrait allonger mon séjour en prison puisqu’ils savent que le motif pour lequel ils m’ont arrêté ne tiendrait pas devant le juge. La preuve est là ; le 23 décembre, mon dossier a été enrôlé mais devant mon nom, il n’y avait aucun chef d’accusation. Et moi, j’étais à Moussoro et ils n’ont pris aucune disposition pour m’extraire de ma cellule pour venir à l’audience. Ils ont simplement reporté le dossier pour le 30 décembre. Ce qui n’a été du gout de mon conseil composé d’un moins 7 avocats dont entre autres : Me Abdou, Me Mahamat Hassan, Me Middaye, Me Delphine Djiraibé.etc.
Notons que dés mon arrivée à Moussoro le 21 décembre 2011, j’ai entamé une grève de la faim afin de d’exiger une justice équitable et que je sois jugé devant un tribunal impartial et compétent dans un délai raisonnable. Il faut noter que le gouvernement en me transférant à Moussoro veut coute que coute me faire juger la-bas en l’absence de mes avocats qui, à travers le barreau avait relevé le caractère illégal de mon arrestation et de l’audience foraine à Moussoro.
Blogmak : au regard de votre arrestation, pensez-vous que la liberté d’expression est plus que jamais en danger au Tchad ?
Daniel Deuzoumbé Passalet : écoutez. quand je dois faire 11 jours en prison après avoir parlé à la radio, cette question ne mérite plus d’être posée. C’est une évidence que la liberté d’expression est menacée. Cela constitue un recul terrible dans ce domaine. Il n’y a pas que moi, d’autres journalistes peuvent témoigner. Par exemple Takadji Edouard, rédacteur en chef de l’observateur peut vous dire quelque chose. Surtout après avoir écrit un article dans lequel il a mentionné l’audience que le Président de la République a accordée à la veuve du chef Massamba pabamé assassiné en septembre 2011. Pour mémoire, notez que ce chef a été
assassiné par les membres des comités d’auto-défense parce que soupçonné d’être de mèche avec les bandits preneurs d’otages des enfants contre rançons. Il a été plusieurs fois arrêté et libéré par les autorités locales. Après cet assassinat, une cinquantaine de villageois avait été interpellée et gardée à la brigade de la gendarmerie de Léré. Le lendemain, 9 personnes sont mortes à la suite de mauvais traitements et d’asphyxie et une dizaine personne est morte à la maison d’arrêt de N’Djamena. Alors malgré cela, le gouvernement ne tient compte que de la veuve Lahr Idi au mépris de ceux qui sont morts en détention et la 2e femme de Massamba.
Pour me résumer, il faut dire que la liberté connait un grave recul depuis 2005. Au Tchad, n’exerce ce droit que les citoyens ou journalistes courageux.
Blogmak : au Tchad, il pèse une réelle menace sur les responsables politiques, de la société civile et les journalistes. L’appareil judiciaire est instrumentalisé pour régler des comptes aux voies discordantes. Que dites-vous de l’indépendance de la justice au Tchad sous le régime actuel ?
Daniel Deuzoumbé Passalet: je ne vous apprends rien mais je rappelle simplement que la justice tchadienne n’est simplement pas indépendante. C’est un pouvoir placé entre les mains de l’exécutif pour libérer ou faire arrêter ceux qu’ils veulent. C’est par exemple mon cas. Le Ministre des affaires foncières qui utilise l’ignorance et la naïveté de Lahr Idi pour me mettre en prison et tenter de lever l’immunité du député Saleh Kebzabo. Cela, bien entendu avec la bénédiction des plus hautes autorités de la République. Ce dernier m’avait déjà dit le 7 novembre en présence du délégué d’Amnesty international qu’il allait me faire payer cher mes déclarations. C’est depuis octobre que ce Ministre cherche à me nuire par tous les moyens.
Bien entendu, la justice tchadienne est tout sauf indépendante malgré les efforts de certains juges qui sont jaloux de leur indépendance. Ceux là sont affectés plus loin dans les petits centres comme pour leur dire de se taire ou suivre le mot d’ordre et oublier l’intime conviction.
D’ailleurs, dans le milieu judiciaire, certains magistrats ont toujours cru aux rumeurs persistantes qui font état de certaines affectations –sanctions par le même ministre des affaires foncières surtout pour régler des comptes à certains magistrats qui ne « lui obéissent pas. Il est donc difficile de parler de l’indépendance de la justice dans ces conditions. Cela est encore Pire au parquet où l’opportunité de poursuite et sa hiérarchisation qui permet au garde des sceaux de donner des instructions est abusivement exploitée. C’est par là que Jean Bernard Padaré est passé pour accomplir l’une de ses promesses en me mettant en prison au moins pour presque 2 semaines.
Blogmak : vous évoluez dans un environnement politique où le pouvoir d’Idriss Deby demeure allergique et sensible aux questions de libertés publiques et de droits de l’homme. Comment percevez-vous ces contraintes, vous qui intervenez sur la thématique Droits de l’homme ?
Daniel Dezoumbé Passalet: il est certes difficile mais pas impossible. Il faut une dose du courage pour empêcher de tourner en rond. Il ne faut pas baisser les bras. C’est ce que je fais. Ils m’ont interpellé en janvier 2008. Lors de ma libération, il m’a été demandé de me taire. Sinon, je pourrais encore revenir. Cela ne m’a pas empêché de faire mon travail dans l’intérêt bien compris des victimes des droits de l’homme. La preuve est là. J’ai bénéficié d’un grand soutient du peuple tchadien et du monde.
Blogmak : la situation sociale, politique et économique du Tchad, est extrêmement inquiétante. Le régime d’Idriss Deby reste toujours dans une logique répressive. Les gens sont exaspérés et dépités par les nombreux actes de provocations du pouvoir. Pensez-vous que le printemps arabe serait-t-il envisageable au Tchad pour délivrer notre peuple de cette tyrannie ?
Daniel Dezoumbé Passalet : le printemps arabe est possible si le pouvoir en place continue à limiter l’espace de liberté et avec les pratiques discriminatoires. Après
20 ans, le peuple commence par tout comprendre. Il appartient au pouvoir de lire le signe de temps au lieu de multiplier les actes provocateurs comme c’est le cas en ce moment après l’arrestation des étudiants en Mai 2011.
Blogmak : votre arrestation a suscité au niveau national et international, une levée de bouclier et un élan de solidarité à votre faveur. Quel message avez-vous à adresser à vos partenaires ?
Daniel Dezoumbé Passalet: il est vrai qu’il ya eu une très grande mobilisation de soutient à travers le monde. Cela m’a vraiment surpris. C’est d’ailleurs cet élan de
solidarité qui me donne encore du courage afin de continuer mon travail. Alors, je profite de votre micro pour adresser mes remerciements à la communauté des défenseurs des droits de l’homme au Tchad et à travers le monde. Mes remerciements aussi s’adressent aux ambassades d’Allemagne, des USA, de l’UE, de France, de la Suisse etc. Que le barreau du Tchad reçoive ici mes chaleureuses félicitations.
Je voudrais pas oublier l’Eglise d’Amriguebé qui a beaucoup prier pour ma libération y compris la communauté Moundang et tous ceux qui sont intervenu par la prière et les actions citoyennes que je ne peux pas citer. Merci donc à tous les tchadiens qui sont intervenu d’une façon ou d’une autre. Certains par de soutiens divers et des actions citoyennes remarques. Une fois encore que l’ensemble des tchadiens qui m’ont supporté en prison soient remerciés du fond du coeur.
Blogmak : à l’entame de cette nouvelle année 2012, qu’attendez-vous de la politique française décriée au Tchad ?
Daniel Deuzoumbé Passalet : De la France, j’attends un petit changement. Que la France comprenne que le peuple tchadien aspire au changement démocratique et espère avoir une France qui se rapproche davantage du peuple tchadien et africain et non proche des régimes qui ne laissent aucun espace de liberté et qui ne respecte aucune valeur humaine. Les français comprennent déjà et feront comprendre cette leçon à leurs dirigeants à travers des élections et autres actions.
Blogmak : quel est votre dernier mot au peuple tchadien ?
Daniel Deuzoumbé Passalet: plus de conscience, de solidarité et d’amour pour la patrie.
Blogmak : Merci M.Daniel de nous avoir accordés cette interview.
Bonjour Daniel,
C’est ton ami Souleymane Bah de l’OGDH Guinée Conakry. J’espère que tu vas bien, ainsi que ta famille.
Tu voudras bien m’envoyer tes contacts (adresse, téléphone et mail.)
Bon courage mon cher.
Ah Souleymane comment vas tu? je t’ai cherché partout
salut
Souleymane
Je t’ai cherché partout mais sans succès. J’étais à Dakar à un moment et on m’a dit que tu y étais Pour les soins. Je suis là.
Heureux de te lire
Deuzoumbe