Daech, l’Etat autoproclamé islamique, vient une fois encore de nous rappeler combien de chemin a été parcouru en Occident dans son rapport à la violence. A la suite des deux assassinats des reporters japonais, l’Etat totalitaire islamique, l’Etat totalisant islamique, a brûlé vif dans une cage un pilote jordanien capturé. Le procédé d’exécution est insoutenable, il est difficile de garder son sang-froid face à la bestialité dont fait preuve le gang à la tête de Daech. Semaines après semaines, les tweets, les messages enregistrées, des vidéos atroces mises en scène nous confortent dans le choix des sociétés basé sur l’égalité et la liberté. Nous n’avons plus le goût du spectacle de la sorcière que l’on met à mort sur un bûcher.
Seulement voilà, malgré tout ce que peuvent avoir d’odieux et d’exécrable nos barbus du Moyen Orient, il convient d’éviter de verser dans l’angélisme, ou au contraire dans la diabolisation. Point d’angélisme, car ces désaxés sont nos ennemis; ils nient toute humanité et réfutent toute différence possible pour l’humanité. Ils combattent pour un monde uniforme, soumis à des règles divines définies par une poignée de leaders à la tête du gang. Ils meurent par grappes parce que le principe même d’une universalité qui ne se plierait pas à leurs préceptes est inacceptable. Cette forme de totalitarisme ne (re)connaît pas l’autre, et lorsque l’autre est inexistant, la table des négociations n’est occupée que par une partie sur deux. La négociation n’étant plus une option, il convient de mettre fin au cancer nihiliste qui nous ronge. Daech doit disparaître, et cela physiquement. En dehors de la solution militaire, on voit mal quelle stratégie pourrait voir le jour pour remplir le cahier des charges.
Néanmoins, Daech n’est pas le diable sur Terre. Comme tout groupe politique à visée totalitaire, comme le nazisme en son temps, ce gang est parvenu au pouvoir grâce à un terreau propice à son expansion. L’inégalité Nord-Sud, une invasion étasunienne catastrophique, le soutien financier de certains pays du golfe, les plaies qui font souffrir le Moyen Orient sont béantes. Sans inégalité, personne ne va se faire sauter vêtu d’une bombe artisanale, alors qu’à la maison notre famille nous attend. Sans soutien financier, il est impossible d’acheter les armes dernier-cri que possèdent les militaires de Daech. Nous en resterions aux attaques kamikazes à répétition qui se sont produites en Irak durant une décennie. Finalement, sans humiliation, soit sans l’invasion étasunienne dès 2003, personne ne se serait senti légitime à rendre la monnaie de sa pièce à un monde qui n’a que peu de considération pour nous-même. Les cadavres du million de morts irakiens et les images d’Abou Ghraib dégagent une odeur pestilentielle qui n’épargne personne, et surtout pas les victimes collatérales des Etasuniens.
Humiliation psychologique et physique, dépossession de son destin, pas d’argent lorsqu’on choisit de faire un travail honnête et pont d’or si l’on se lance dans des activités barbares. Chaque élément en soi ne pourrait créer Daech. La combinaison est explosive, et ressemble à s’y méprendre à l’Allemagne nazie des années 30, qui elle aussi adoptait des méthodes de communication décomplexée tel Daech aujourd’hui. Les jeux olympiques, le cinéma, les discours devant les masses, toutes les nouveaux supports de propagandes disponibles ont été utilisées par les Nazis. Tout aussi décomplexés, les responsables de la communication de Daech utilisent twitter et facebook, font des montages vidéos élaborés, produisent un rapport annuel, etc. Sur le fond (groupe politique totalisant) comme sur la forme (communication débridée), ou encore sur l’aspect contextuel (pauvreté, humiliation) tout tend au parallèle avec le nazisme d’entre-deux-guerres.
Cela fait plus de 70 ans que l’on compare tout groupe politique déviant avec le nazisme. Ces raccourcis sont erronés, puisque chaque groupe politique a son propre fond, forme et contexte. Mais ces raccourcis sont aussi corrects, parce que les solutions sont immanquablement identiques : mettre fin à l’activité du groupe politique (action armée contre les Nazis), et reconstruction (plan Marshall, mais surtout CEE/UE). En d’autres termes, guerre puis paix.
La réaction de la Jordanie à l’exécution de son pilote est toute différente: au terrorisme, ils répondent par le terrorisme. De la bouche du ministre de l’information jordanien, nous entendons aujourd’hui « la réponse de la Jordanie sera ferme, terrible et forte ». Une source jordanienne citée par le Monde prétend qu’il s’agit en réalité de l’exécution d’une jihadiste irakienne. A la barbarie de Daech, la Jordanie répond par sa propre barbarie.
Sur le terrain de la barbarie, personne ne peut aller aussi loin que Daech, ils ont déjà occupé l’espace en long et en large. Les imitateurs vont non seulement justifier les méthodes monstrueuses de Daech (si la Jordanie le fait, pourquoi moi je n’en n’aurais pas le droit), mais surtout deviennent monstres à leur tour et produisent sur leur territoire des violations terribles, et briment leur propre population.
Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut commissaire aux droits humains de l’ONU, a récemment su être plus fort que son chemin. Prince jordanien, il a critiqué le gouvernement jordanien (sa famille donc) au sujet de la reprise des exécutions capitales intervenues après un moratoire de 8 ans. Hier prince, aujourd’hui plus haut représentant des aspirations de justice de l’humanité, il a cherché à faire comprendre que rien ne justifie de se transformer soi-même en monstre, et qu’au contraire l’on peut passer de despote à champion. Sa famille ne l’a malheureusement pas écouté.