• Publication publiée :15/7/2019
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Anti-sionisme – histoire d’incompréhensions mutuelles

Alors que la peste brune monte de toute part dans les démocraties, l’antisémitisme s’invite au buffet de la violence radicale en se servant d’une pincée de propagande, une bouchée de swastikas, et avale goulûment un cocktail de peurs diverses. Celui que l’on croyait à jamais mort ne pouvait le rester, et le Grand Ancien à tentacules sort de son repos. Oui, la maladie antisémite est de retour. Elle n’était jamais totalement partie, mais restait tapie, secouant de temps à autre son hôte sans se faire remarquer, évitant de donner un prétexte pour se faire éradiquer. Elle arrivait à ne pas se faire prendre trop au sérieux. Les cris d’orfraie étaient limités, on regardait les quelques croix gammées avec une incompréhension mâtinée d’indifférence. Les choses changent depuis vingt ans, et on cherche à agir. Toutefois, l’antipoison que l’on tente d’inoculer aujourd’hui échouera : le monde est devenu trop complexe, l’hypocrisie des uns et des autres trop transparente. Il est nécessaire pour tout libéral de s’opposer avec toute la force de sa conviction à l’antisémitisme; mais il doit le faire de manière universelle, non sélective, et se baser sur le plan des valeurs. Il n’est pas possible de se cantonner au champ du politique seul – il faut embrasser le champ de l’éthique. La victoire contre l’obscurantisme ne se fera pas par des demi-mesures – mais par une bataille totale qui devra tout emporter sur son passage. Pas de petits arrangements, mais un grand refus.

Israël

L’antisémitisme moderne a changé depuis 1948. Un Etat juif est sorti du sable. L’antisémitisme s’est mué, sous nos yeux aveugles, en antisionisme. Le premier est une version devenue inacceptable par la doxa populaire ; le second est venu combler le vide laissé, pour permettre à la même haine de continuer à s’exprimer, en évitant tout reproche des « moralistes ». Bien qu’une définition du sionisme est présentée plus loin, il est compris ici comme le droit des Juifs à rejoindre Israël.
Theodor Herzl père du sionismeToutefois, le sionisme s’accompagne de problèmes ontologiques, car il semble anachronique que la communauté juive puisse croire que les Etats modernes peuvent s’accommoder de leur nomadisme traditionnel, millénaire, inscrit dans l’ADN d’un peuple qui a l’habitude de plier bagage quand on commence à voir en lui le bouc-émissaire. Si l’on revient avant 1948, la fuite était la seule option possible en cas de troubles antisémites; mais depuis que ce rêve politique que l’on fait remonter à Herzl est devenu réalité, il a offert de nouvelles possibilités. Le Juif nomade ne l’est que s’il choisit de l’être. Il peut cesser de fuir et chercher à construire son abri. Il peut bâtir en toute liberté, sans que les aléas politiques le forcent à tout abandonner à nouveau. Il peut s’établir dans la durée, sans craindre de représailles futures. Qui d’autre qu’un Juif, dont la tradition est suffisamment forte pour avoir survécu durant des milliers d’années sans avoir recours à la force armée, peut comprendre ce qu’Israël représente dans l’inconscient collectif de sa communauté ? Et pourtant, c’est là l’origine de tous les maux. Car dans un monde aux Etats dont les contours sont tracés pour être défendus, on clame que l’on ne peut accepter une double allégeance : il faut choisir entre Israël et la nationalité du pays hôte. En effet, un Etat moderne, qui protège ses frontières et attribue sa nationalité, ne peut s’accommoder du sionisme. Le sionisme tel qu’il est vécu par les Juifs du monde entier à l’exception des Israéliens, et une projet libéral d’une communauté qui n’a jamais compris le concept de frontières et qui s’est soudainement vu pourvu d’un Etat; en un peu plus de deux générations depuis sa fondation, les Juifs et les Européens n’ont pas pris la mesure du changement opéré. Le langage courant même confond les Juifs, les Israéliens, les Hébreux.

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Antisémitisme

Une histoire de définitions :
(1) être antisémite, c’est nier à l’individu d’origine juive sa complexité en raison de sa naissance. Ne le voir qu’à travers des clichés surannés et lui refuser son humanité. Le processus est classique, il est identique avec le racisme anti-noir, antichinois, et tous ces raccourcis que l’on opère quotidiennement sans même s’en rendre compte. L’antisémitisme n’a, pourrait-on dire, rien de particulier si ce n’est qu’il fait partie des mécanismes qui conduisent à commettre des génocides. Comme le génocide rwandais, on se retrouve bien vite en difficulté administrative lorsqu’on doit définir les contours de l’ennemi (les parents étaient-ils juifs/tutsis ? A quel pourcentage ?). L’antisémitisme puise dans la haine de la différence construite (on ne naît pas raciste) comme tout rejet organisé de l’autre. Mais il est toutefois unique car il a engendré l’extermination scientifique d’une communauté, où tous les efforts d’un appareil d’Etat fonctionnel se sont concentrés pour éradiquer le plus rapidement l’ennemi. Au risque d’accélérer sa propre chute.
(2) être antisioniste, c’est… plus compliqué. Pour un individu non-Juif, cela peut se traduire par le refus d’un Etat mono-ethnique total, comme Israël. Mais aussi par le refus rendu impossible de la critique d’Israël. Pour un Etat, ce pourrait être le refus qu’un de ses citoyens porte une double allégeance, à savoir à Israël et à son Etat hôte. Mais pour un Juif, et c’est là que le paragraphe ci-dessus prend toute sa portée, être antisioniste peut être vu comme une menace à sa survie. Cela peut être vu comme une forme d’antisémitisme moderne. Le refuge mythique du peuple juif s’est concrétisé par le biais de l’Etat d’Israël. Il a fallu la quasi-extermination de leur peuple pour qu’ils aient un Etat. Et l’on se permet de critiquer le (a) droit à l’existence d’Israël, (b) le droit d’aller s’abriter lorsque la haine resurgit ? De plus, l’antisémitisme ne s’étant jamais aussi bien porté depuis la Seconde Guerre Mondiale, la nécessité d’un abri est vitale.

Antisionisme, l’incompréhension qui débouche sur l’antisémitisme

Comment l’antisionisme est-il utilisé pour rendre acceptable l’antisémitisme ? De plusieurs manières :
(1) L’antisionisme est un outil populiste utilisé par les Etats non-démocratiques qui cherchent à fédérer autour d’un thème commun, celui d’Israël martyrisant les Palestiniens. L’hypocrisie réside dans le fait que ces gouvernements n’utilisent la cause palestinienne qu’à des fins unificatrices et identitaires personnelles. La lâcheté du monde islamique devant le traitement subit par les Rohingyas au Myanmar confirmait une fois encore que la vie de certains musulmans est plus importante que d’autres aux yeux des Etats musulmans. Il y a ceux qui sont utiles politiquement (qui deviennent des frères), et les autres.
(2) L’antisionisme est un cri de ralliement pour les opposants à la politique d’Israël. Une colle identitaire qui lie les révoltés devant la guerre asymétrique que livre Israël à la population palestinienne. Ils rejettent ainsi le droit des Juifs de devenir Israéliens et de trouver refuge face au persécutions, car l’Etat d’Israël en commet des biens plus horribles. Le raisonnement est ici (à nouveau) politique et non éthique; la vie d’un juif persécuté est moindre que celle d’un palestinien persécuté. Il y a une sélectivité dans la compassion, des victimes plus indignes que d’autres. Et une difficulté réelle de voir que, pour les Juifs, l’Etat d’Israël, malgré ses choix politiques désastreux de ces vingt dernières années, reste un havre apolitique permettant la survie du peuple juif contre vents et marées.
(3) L’antisionisme d’Etat moderne. Dans le monde libéral que dépeignaient les politologues des années 1990, les frontières se dissipaient et les identités nationales devenaient floues. La gueule de bois des années 2000 a vu ces mêmes politologues assister à la résurgence des nationalismes et mouvements identitaires. L’Union européenne, projet emblématique du post-modernisme politique, s’est progressivement retrouvé à bout de souffle. Les Etats modernes sont de retours. L’allégeance se fait à un pays, non à un projet. Comment le sionisme, qui permet à un juif étasunien, français ou tunisien de rejoindre Israël pourrait-il être soluble dans un monde de frontières? A vrai dire, toutes les diasporas du monde font face à la même méfiance des ressortissants nationaux installés depuis plus longtemps. Les Arabes, les Chinois font face peu ou prou au même type de rejet. Mais alors qu’on dirait à un Arabe « rentre chez toi! », le Juif se verrait reprocher d’être un traitre à la solde d’Israël.

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Les exemples sont bien plus nombreux. Et certainement qu’à leur lecture, bien des lecteurs ne s’y retrouvent pas. Principalement celui sincèrement opposé à la politique d’Israël, ne haïssant pas les Juifs mais pour qui le projet sioniste est dur à avaler. A ceux-là, il s’agit de faire comprendre que la politique d’Israël est motivée par la peur. Une peur réelle : la peur d’être annihilé, comme plusieurs fois par le passé. Cette peur est contre-productive, elle conduit à des actes abjects commis par le pays de Ben Gourion. Mais ce sont les mêmes mécanismes qui poussent à croire qu’un pays est intrinsèquement mauvais, que ceux qui voient un peuple, une religion, une ethnie comme fourbe, voleuse, ou que sais-je.

S’opposer au sionisme est antisémite car il refuse aux Juifs de chercher la protection désintéressée qu’ils ont si longtemps recherchée. S’opposer à la politique d’Israël, ouvrir les yeux sur les mouvements de nature politique qui soutiennent les politiciens israéliens à l’étranger, n’est pas antisémite. Le grand refus consiste à voir le mal tel qu’il est : il existe une arène politique qui, depuis toujours, trouve utile de classifier et catégoriser afin de mieux créer un ennemi commun. Il peut être Juif ou Arabe, Tutsi ou Hutu, Allemand ou Namibien. On lui refuse le droit d’être lui (antisémitisme) ou le droit d’être quelque part chez lui (antisionisme).

A mon sens, le seul projet politique qui a accouché d’une constitution et d’une culture pouvant combattre tout cela à la fois est la France. Tout le reste n’est que division stérile, différenciation artificielle, catégorisation sociologique. Et pourtant, la France connaît le même fléau que tous les autres.

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