J’ai réalisé l’un de mes objectifs en venant au Pérou : découvrir des ruines inconnues. A Cerro Mongón le 28 janvier 2020, j’ai pu me débarrasser ainsi de l’une des nombreuses obsessions qui me hantaient depuis mon arrivée dans le pays andin. Je raconte l’histoire de cette découverte d’une manière parfois poétique, parfois plus académique, car son contexte est si capricieux que pour l’apprivoiser, il faut savoir s’adapter à la nature polymorphe de la bête. Seuls les contemplateurs, à la curiosité qui les démange de partout, peuvent prétendre être de vrais scientifiques, et ne pas se limiter au langage froid mathématique. La science est faite d’exaltation et se doit de modestement transmettre l’ardeur qui pousse au dépassement de soi. Peut-être n’arriverais-je pas à transmettre l’intégralité de mes émotions, car les vraies découvertes sont celles qui se vivent entre les lignes. Elles sont incommunicables.
Le Cerro (sommet) me narguait de sa beauté insolente. Il s’enveloppait de son coton de nuages, unique cerro au Pérou qui, me dit-on, soit au bord de la mer et retienne les nuées blanches comme un douanier du ciel. Une oasis andine que personne ne défie, personne ne connaît, seules les légendes anciennes l’évoquent. Cerro Mongón était là, devant moi, drapé d’un mystère qui se réfugiait derrière une immense dune de sable. Je ne m’attendais pas à cette rencontre, alors que je visitais le centre cérémonial préhispanique de las Aldas (ou las Haldas, c’est selon), un site méconnu près de la Gramita, un village de pêcheurs vivotant au gré des marrées qui se fracassent durement contre les rochers, et du soleil qui blanchit les os et noircit la peau. Je clamai avec provocation à l’amas de pierres : “Je reviendrai pour toi !”, mi-naïf, mi-arrogant. Et deux semaines plus tard, je gravissais dans la douleur, l’épuisement et le manque de préparation Cerro Mongón. Je l’ai vaincu, mais uniquement parce qu’il s’est laissé faire. Sans cela, je ne serais jamais revenu de ma bravade qui me mena à découvrir des ruines oubliées des hommes. Tous les habitants perçoivent ce sommet mythique comme un songe ; il ne leur viendrait pas à l’idée de réaliser le fantasme de le chevaucher. Mais à mon sens, le monde onirique n’existe que pour être vécu les yeux pleinement ouverts. Les rêves, éveillés ou endormis, n’ont de sens que s’ils nous aident à déchirer la trame du réel.
Tout commença à l’hôtel de las Aldas du village la Gramita
Un peu au-dessus de la côte centrale péruvienne, au bord de l’océan Pacifique, l’inhospitalité se décline en couleurs. Le désert d’un jaune aride se dispute avec la mer blanche de sel, la vie n’est pas la bienvenue dans cette lutte de titans qui font jaillir du sable et des eaux inutiles à l’homme. Pourtant, quelques singes nommés sapiens ont créé des oasis de paix, détournant les lits de rivières bleues venues des lointaines immenses montagnes colorées de la Sierra péruvienne, et vivent sur la terre noire fertile aux alentours. Sans ces artifices prométhéens et la bienveillance de Viracocha, le dieu civilisateur andin, les combats élémentaires se dérouleraient dans un silence total, sous le regard totalitaire de la Pachamama surveillant ses rejetons de l’étage.
L’hôtel Las Aldas
On ne penserait pas trouver là, dans le néant de dunes sculptées par le vent, un hôtel avec eau chaude. Pourtant, Dante Scarpati Garbone, 82 ans et le regard vif, est l’auteur de ce rêve déraisonnable. Dante est un descendant italien fier de ses origines coloniales, dont la vie a été mue par le chaos de choix aussi impulsifs que libres. Il n’a jamais écouté personne, ce qui lui a permis de s’aventurer au-delà de l’ordinaire. Alors qu’il amassait un pactole dans un négoce de lait près de Chimbote, capitale régionale de 400’000 habitants, il tombe amoureux d’un lopin de sable près d’un site archéologique dont personne ne sait totalement expliquer l’histoire, Las Aldas, situé à quelques kilomètres à peine du village la Gramita. Les chercheurs continuent à chercher, et les mystères insistent à se dérober.
L’homme d’affaires, qui ne s’intéresse en rien à l’archéologie à ses débuts, décide de faire éclore un hôtel de la terre inculte. Son entourage le prend pour un fou, personne ne voudra payer pour se reposer dans le néant aride d’un village de pêcheurs de quelques centaines d’habitants, essaie-t-on de le décourager. Mais l’homme est têtu, et fort de ses rêves et certitudes, il s’acharne à poursuivre sa folie. Le négociant de lait partage son temps entre Chimbote et la Gramita, dépensant le weekend l’argent gagné en semaine. Le travail est de longue haleine, peu gratifiant, et il lui faut trouver le moyen d’approvisionner en eau douce son hôtel. Son frère, un ingénieur, lui construit un château d’eau en hauteur, ce qui permet à Dante de débuter modestement sa nouvelle activité, il y a près de 30 ans. Le lieu de villégiature s’étend, se modernise au fil des ans, et le Péruvien se désintéresse progressivement de son négoce de lait : “L’argent ne m’a jamais beaucoup attiré. Je pouvais vivre de ma passion, et le site archéologique devenait progressivement une obsession qui me détournait de tout le reste”, me confie-t-il.
Il en vient à construire une annexe rustique pour les archéologues qui vont et viennent à la recherche de céramique à dater au carbone 14, à survoler le site et la zone avec des avions venus de Lima avec l’argent du National Geografic, et à élaborer des théories reposant sur quelques poteries. “A ce jour, personne n’a encore creusé les niveaux inférieurs de las Aldas. Les premières fouilles sérieuses devraient commencer en mars ou avril 2020”, m’explique l’octogénaire.
Au centre cérémoniel de Las Aldas, 40 siècles (ou plus) vous contemplent
Las Aldas auraient été construites par la culture Casma, mais certaines recherches archéologiques restent encore dans des tiroirs, bien “qu’elles aient été menées il y a quelque quatre ans en collaboration avec le National Geographic“, continue l’hôtelier. Le centre cérémoniel Las Aldas aurait 5000 ans d’ancienneté selon l’hôtelier, ce qui en ferait un contemporain de Caral, la première construction urbaine des Amériques. De là à dire que la civilisation américaine serait née à Las Aldas, c’est un pas que Dante franchit sans précaution. Des affirmations à prendre avec sens critique, car les datations scientifiques actuelles lui donnent 1000 ans de moins [1]. Ce que l’on peut affirmer, c’est que le centre cérémoniel est très ancien.
C’est lors de ma visite du site Las Aldas que j’aperçu pour la première fois le Cerro Mongón. Je fus saisi d’étonnement devant des nuages stationnaires à l’horizon qui n’avaient aucune raison d’exister, pensais-je en me réfugiant à l’ombre de la moindre pierre pour me protéger du cagnard assassin. Je ne pouvais détacher mes yeux, recouverts par sel de ma sueur, du pic défiant toute logique. Il semblait m’inviter à la recherche géologique et biologique, une fois que mon goût puéril pour l’archéologie me serait passé comme une poussée d’acné adolescente. Je sentais que l’orgueil de la montagne me dépeignait comment son pic avait résisté aux ravages du temps bien mieux que les constructions que j’admirais à ses pieds. Je l’écoutais, hypnotisé par sa superbe robe blanche tamisant le soleil sur ses pentes. Le monde des dieux se moquait du monde des hommes.
Je terminai ma visite du site Las Aldas, ce qui m’amena à découvrir le nombre d’or dans les proportions de l’une des plazas hundidas caractéristiques de l’univers andin. Je pris congé des pierres assemblées par l’homme devant moi ainsi que de celles plus lointaines et plus anciennes, intouchées et incréées, leur promettant de revenir pour percer leur secret. Je devais me rendre à Huaraz, au centre du pays, pour rencontrer des sommets plus ambitieux, enneigés et froids. Et en découvrir plus sur les civilisations Chavín et Kotosh, sans savoir alors que je ferai un détour par Huanacaure. Mon absence serait plus longue que prévu, mais Cerro Mongón n’était pas pressé. Il en avait vu des insectes tituber sur le sable qu’il projetait dans les airs depuis plusieurs millénaires. Il ne semblait pas se soucier de moi, ce que mon égo niait de toutes ses forces.
L’histoire de l’ascension du Cerro Mongón et de la découverte des ruines inconnues
Je n’ai pas oublié Cerro Mongón durant les semaines qui ont suivies. Peut-être son nom se faufilait-il brièvement hors de ma mémoire à court terme, mais son pic enjambé par des stratus restait farouchement logé dans mes limbes oniriques personnelles, un monde inaccessible où les dieux consignent les rêves qu’il me reste à accomplir. Lors de mon retour à las Aldas, Dante et sa famille cherchèrent à me dissuader de ma mission, sans insister très longtemps. Ils connaissaient le virus de l’obsession, et ne tentèrent pas d’endosser le rôle du psychiatre qui tente de guérir un patient d’une pathologie dont il souffre lui-même. Les fous se reconnaissent entre eux, et Dante me propose très vite de m’emmener en voiture au début de la marche qui mène au sommet du Mongón. Il a l’oeil brillant, et s’enthousiasme en m’expliquant qu’aucun archéologue n’a jamais tenté l’ascension. Son excitation est palpable, et nous nous mettons à discuter du meilleur moyen de parvenir au sommet. Ma première idée consiste à marcher jusqu’au pied de la montagne depuis l’hôtel, ce que Dante rejette en croisant les bras par désapprobation. Il me fait remarquer que vingt kilomètres de dunes nous séparent de ma destination, avant même de pouvoir débuter l’ascencion.
A dire vrai, ma préparation est minimale. J’ai pris l’habitude de m’organiser en quelques minutes durant mon séjour dans les froides montagnes andines, et partir marcher quatre ou cinq heures avec peu d’eau et rien à manger. Je ne discerne pas encore avec lucidité que mon contexte a changé : je me trouve dans une région inhospitalière soumise aux caprices élémentaires, elle ne se prête pas à ce genre d’aventure fougueuse. Je ne sais pas non plus que la marche sera longue, bien plus longue que je ne le calcule. Je n’ai pas de point de référence, personne ne saurait me dire combien de temps est nécessaire pour gravir Cerro Mongón. Je serai le point de référence dorénavant. Mais au prix de grandes souffrances.
Les dunes protectrices de Cerro Mongón
A 8 heure du matin, Dante me dépose devant l’un de ces bars faits de planches rouillées et poutres décomposées que l’on trouve répartis sur toute la route panaméricaine. Il me fait “ciao” de la main, mais ne s’éternise pas en effusions de télénovelas. Son véhicule décharné soulève un chariot de poussière, qui en retombant fait place à un bâtiment délabré dont je ne comprends pas immédiatement où se situe son entrée. Pensant à une aubaine providentielle, j’en cherche fébrilement l’ouverture pour me repaître. Je n’ai pas pris de petit déjeuner mais j’ai l’espoir de pouvoir me sustenter avant le départ. J’arrive à me glisser à l’intérieur, mais la pitance disponible ne consiste qu’en quelques maigres biscuits secs. L’insalubre édifice n’est pas encore en activité, m’explique son gérant dépenaillé à travers les quelques dents qui lui restent. Dépité, il est temps pour moi de me mettre en route pour Mongón, dont le pic capte quelques nuages déjà. La journée brumeuse sera tout à mon avantage, faisant baisser l’infernale température.
Démarrant ma marche dans le sable sans vivres si ce n’est les quelques biscuits qui assèchent ma salive, 1 litre d’eau distribué dans deux petites bouteilles, de mauvais pantalons et de mauvaises chaussettes, les cumulus seront mes seuls alliés. Ils feront office d’habits protecteurs, réfléchissant les ardents rayons de l’astre en ébullition planant au-dessus de ma tête. Sans cela, la boule d’hydrogène céleste m’aurait cuit comme une céramique durant les cinq cents mètres de hauteurs des premières dunes.
Près de deux heures me sont nécessaires pour traverser ce premier obstacle, et mes pieds roulent constamment sous ces granulés qui s’effondrent silencieusement en grappes de milliers. Si les descentes sont joyeuses, les montées retiennent l’espace-temps à l’endroit précis où je tente de grimper. La gravité peut se faire infinie sur une dune, autant que dans un trou noir. Je cherche à rester sur l’horizon des évènements, luttant contre les forces centrifuges qui refusent de me laisser m’évader.
Deux heures plus tard, me voilà enfin parvenu aux pieds du Cerro. Je suis étonnamment en forme, malgré la soif qui commence à se faire sentir. Un chemin pour grimper l’édifice naturen ne m’apparaît pas immédiatement, alors je tourne autour de l’interminable montagne pour éviter d’avoir à m’embourber plus encore dans un marécage de silicium. Je ne détecte que des pentes ensablées inutiles, jusqu’à ce que je finisse par dénicher une voie faite de roches solides. L’impression ne se révélera pas entièrement erronée. L’ascension du Mongón peut débuter. La montagne cruelle me met à l’épreuve du désespoir, elle qui n’a pas l’habitude de se dévoiler aux humains sans opposer la résistance hostile.
La source du sable et du diable
Je ne vais en effet pas tarder à faire connaissance avec les géniteurs barbares de ces milliers de tonnes de sable : des rochers au nombre incalculable, dressés sur des pentes raides qui n’attendent qu’une opportunité pour courir au fond du ravin. Et idéalement, accompagnés par celui qui ose troubler leur repos, c’est-à-dire moi. Je dois m’adosser aux pierres, les enjamber, me hisser sur elles ou m’insérer entre celles plus larges. Le sel de ma sueur assaisonne mon visage, et je m’estime heureux que la température soit si clémente. Je repense à mes premières marches en montagne, il y a quinze ans, où je souffrais de tout et ne profitais de rien : un canal temporel s’est ouvert sur ce passé oublié, qui se dilate au fil de mes efforts de plus en plus fournis pour dompter Mongón.
Ma jauge de force s’abaisse proportionnellement avec l’altitude que j’atteints sur les pentes du pic. Je n’ai déjà plus d’eau, la faim me tiraille, je suis stupide d’être parti aussi impulsivement et sans meilleure préparation. Je prends du repos, mais pas trop, le vent m’aime et me déteste. Ce vent se fait allié, qui me garde au frais lorsque la chaleur corporelle augmente sous le déchaînement d’énergie de mes cuisses et mes mollets. Mais il sait se faire également diable, me refroidissant si mes pauses pour souffler se prolongent trop. Je repense à la dualité andine, qui est plus proche du yin et yang chinois que de la conception manichéenne du monde en Occident. Mes pensées ne vont toutefois pas très loin, je dois me concentrer sur l’assurance de mes pas et mon équilibre, vacillant régulièrement et me rattrapant in extremis sous les éboulements.
Puis je crois la délivrance à portée de pas : un sommet se fait voir, mon calvaire est sur le point de s’achever. Trois heures et demies de marche ensablées et endiablées sont sur le point de s’évanouir. Les sportifs d’endurance connaissent bien cette sensation : lorsque le but est proche après un long effort, un courant d’adrénaline parcourt brusquement le corps qui enhardit pour le sprint final. Mon pas se fait soudainement plus léger, je traverse les quelques mètres qui me séparent de mon but tel Hermès aux pieds ailés jusqu’au sommet final… pour réaliser que ce n’était qu’un mirage montagnard, celui où un pic en cache un autre. Il me reste 200 mètres à grimper selon mon altimètre, je me sens misérable. Je n’ai plus qu’une envie, celle de me laisser glisser jusqu’au pied du Mongón accompagné des rochers glissants. Tant pis, l’échec sera honorable, il n’y a pas de honte à abandonner. Je me désarticule comme un pantin et m’assieds pour manger mes restes de biscuits secs, et pour refroidir ma machine interne essoufflée. Je profite du panorama, qui me fait voir sur des kilomètres alentour la mer et les dunes. Le spectacle est solennel panégyrique. C’est alors qu’une forme qui semble trop régulière pour être naturelle attire mon attention sur ma droite : j’écarquille progressivement les yeux sur une structure, dont j’entrevois graduellement les contours. Je suis en train de faire une pause à côté d’un site archéologique péruvien inconnu.
Le site archéologique oublié de Cerro Mongón
Il me semble effarant que personne ne m’en ait jamais touché mot. Dante m’avait pourtant averti que “là où tu vas, aucun archéologue n’est jamais allé”. Je n’ai guère prêté attention à ces mots sur le moment, déjà concentré sur ma mission. Mais mes recherches ultérieures auprès des autorités péruviennes m’ont confirmé qu’aucune investigation n’a encore jamais été menée à Cerro Mongón. Mieux encore, mes amis archéologues ont vérifié sur le SIGDA [2] que ce complexe ne soit pas répertorié dans les archives ministérielles. Ils m’ont confirmé que les plus proches à être enregistré sont Chankillo[3] et bien sûr las Aldas. Bien sûr, sur le moment, je ne sais rien de tout ça, ce que ne m’empêchera pas d’investiguer les ruines.
Sur la base de mes découvertes, je peux présenter quelques faits et m’aventurer à quelques théories. Ces maisons sont en pierres, sans mortier apparent. Elles pourraient avoir été rectangulaires, et ont été bâties sur les bords de la falaise, au lieu d’avoir été construites plus à l’intérieur des parties planes, et plus en sécurité face aux éboulements des bords de falaise. Difficile de connaître leur emplacement d’origine, peut-être étaient-elles très à l’intérieur de parties planes, qui au fil du temps se seraient effondrées. Mais pourquoi se rapprocher des falaises, si ce n’est pour mieux voir au loin ? Les risques sont toujours calculés par les bâtisseurs antiques.
Autre point d’extrême importance, des morceaux de céramiques parsèment tout le site. La période précéramique du Pérou s’établit généralement entre 3000 et 1800 av. J.-C., avec des différences pouvant être importantes selon les vallées du pays. Il existe une petite chance pour qu’il y ait un lien entre Mongón et l’époque moyenne du site de Las Aldas (2000-1400 av. J.-C.), où des céramiques ont été retrouvées (et vendues par les huaqueros[4] aux touristes étrangers, m’a-t-on expliqué au village de la Gramita). Ce site aurait pu servir de guet pour le centre cérémoniel de las Aldas, pour autant que l’on puisse retrouver des données archéologiques relatives à un moyen de communication avec las Aldas. Mongón est trop éloigné des autres sites pour avoir pu communiquer avec eux, et trop isolé pour être une simple habitation. Pour s’abreuver, les cactus et le peu d’humidité ambiante pourraient offrir des ressources limitées et satisfaire les besoins temporaires des occupants. Pour se nourrir, on pouvait mettre au menu que quelques escargots et oiseaux, peut-être chasser quelques rongeurs et petits mammifères. Mais rien de viable sur le long terme, impossible de nourrir une famille sans apport de nutriments venus de l’extérieur. L’approvisionnement devait être compliqué, demander un sérieux investissement. Je suis parvenu jusqu’à ces maisons sans porter des litres d’eau et des kilos de nourriture, et ce ne fut pas facile.
En d’autres termes, il est raisonnable d’hypothétiser que la station de Mongón ne pouvait être auto-suffisante et qu’il était nécessaire de transporter dans les hauteurs la nourriture et la boisson et a servi de station de guêt. J’ai détecté trois bâtiments, mais il y en a certainement plus. Des petits groupes devaient vivre au sommet du Cerro, pour se relayer. L’un ou plus de ces bâtiments devait servir d’entrepôt pour stocker le matériel.
Il existe aussi la possibilité que Mongón ait été un lieu d’ermitage. A défaut de données archéologiques, je trouve difficile à croire que ce soit le cas, puisque la vie de solitaire requiert en général l’autosuffisance. Il aurait fallu que les anachorètes vivant reclus soient suffisamment respectés et importants pour que leur communauté s’engage à des efforts vertigineux. C’est une possibilité valable, mais je n’ai pas rencontré de cas de ce type au Pérou.
Mes hypothèses sont limitées, et des recherches devront être entreprises pour vérifier le lien avec las Aldas, et le rôle de ces édifices antiques isolés. La pause est terminée, retour à l’ascension.
L’histoire sans fin des derniers (kilo)mètres de Cerro Mongón
Le reste de l’histoire est moins romantique et repose sur une volonté aussi ambitieuse qu’arrogante de parvenir au sommet des choses. De les accomplir dans leur perfection, évitant de mourir hantl par les regrets et la frustration lorsqu’on redéroulera le fil de l’aventure dans son lit de mort. Pouvoir se dire qu’on est allé jusqu’au bout et pas seulement qu’on a fait de son mieux. Et 200 mètres de dénivelés positifs me narguent encore à ce moment… tout un monde de souffrance. D’autant que si la faim se fait pressante, la soif est devenue insupportable. Je cherche des cactus pour en traire leur jus vital, mais il n’y en a plus à cette hauteur et de toute façon je n’ai pas mon fidèle couteau sur moi. Mon impréparation est criminelle. Mon sang pulse avec la régularité d’un métronome dans mon cerveau, les maux de crâne me font gémir, autant de symptômes que la déshydratation a commencé son grand oeuvre sur mon corps.
Je gravis avec lenteur, et ne compte plus le nombre d’arrêts effectués en chemin pour reprendre mon souffle et m’asseoir, car la tête me tourne comme un carillon. Je m’interroge sur l’arrogante raison qui me pousse à terminer mon chemin par le sommet, et le sommet seul. Comme si une rédemption m’attendait à 1100 mètres d’altitude, mais qu’elle était impossible à 900 mètres. Ou à 1000. Ou même à 1050. Non, c’est le pic dans toute sa splendeur, ou rien. On doit choisir entre le ciel ou l’enfer, mais le ciel passe par l’enfer à Mongón. Les mètres et millimètres défilent à une vitesse de gastéropode, et je ne parviens plus par moment à lever les yeux vers le Cerro en raison de mes étourdissements – ou est-ce par respect envers lui ? J’avance, cherchant à ralentir la cadence de mes pas, mais je suis déjà presque arrêté. Je me repose à nouveau, je ressemble aux mollusques qui recouvrent les rochers. Le peu d’eau interne qu’il me reste en réserve s’écoule par mes pores, mon corps semble avoir des tendances suicidaires.
J’évolue dans le néant de Fantasia, après qu’Atreyu dans l’histoire sans fin ait mis un terme au monde connu et l’ait connecté à l’imaginaire du garçon lisant tranquillement l’histoire. Je dois nommer le Cerro Mongón pour terminer mon propre chemin, y parviendrai-je ? [5]
Références
- Shelia Pozorski y Thomas Pozorski, La evolución del Periodo Inicial en el valle de Casma del Perú: Una historia de dos rivales políticos, 2011 [↩]
- Sistema de Información Geográfica de Arqueología, soit Système d’Information géographique d’archéologie [↩]
- Un observatoire antique, situé en face d’un complexe de 13 tours astronomiques. [↩]
- Pilleurs de tombes [↩]
- Les vraies histoires ne se terminent jamais dans la bouche du narrateur, mais toujours dans l’imaginaire de l’auditoire. [↩]