Le Sajama est haut : 6542 mètres. Il est beau : on vient du monde entier pour le contempler. Il est orgueilleux : c’est le plus haut sommet de Bolivie. C’est un colosse, un pillier qui toise une région préservée, dans laquelle des flamants roses côtoient les queñuas, les plus hauts arbres de la planète.
En cette période de pandémie, le village de Sajama est difficile à atteindre. Et une fois sur les lieux, aucun restaurant n’est ouvert. Seul un hostal têtu, le Parinacota, continue à défier un virus qui a bouleversé les habitudes du petit village de l’ouest de la Bolivie.
Sajama, le village, vivait du tourisme avant que le Covid-19 en décide autrement. Avant les ravages viraux, au bas mot la moitié des maisonnettes contenait une, deux, ou 25 chambres pour des touristes en quête d’explorations des lieux enchanteurs de la région. Sajama, la montagne, attirait des grimpeurs de tout âge et de toute condition physique, car malgré son élévation impressionante, son ascension reste relativement aisée.
Ce qui était vrai hier ne l’est toutefois plus vrai aujourd’hui : les guides sont devenus gardiens de troupeaux de llamas, peintres en bâtiments, ou sont allés cherché du travail au Chili, un pays situé à quelques kilomètres du hameau et offrant de bons salaires. Monter au sommet du Sajama s’avère ardu, le matériel d’escalade des guides ayant été vendu, aussi est-il devenu primordial de venir outillé pour qui veut tenter l’ascension.
Qu’importe l’escalade, la région recèle des beautés secrètes qui n’ont cure des maladies humaines et de leurs conséquences. Les queñuas, par exemple, sont les plus hauts arbres du monde. Il poursuivent leur lente croissance à une hauteur située entre 4000 à 5000 mètres, sans savoir que la ligne habituelle à ne pas dépasser pour des arbres se situe à 3500 mètres. On ne trouve, étonnamment, cette espèce végétale que dans le parc du Sajama.
Mais bien d’autres émerveillements n’attendent que le voyageur curieux. Une marche longue, sans être difficile, traverse un champ de minuscules geysers et lagunes aux couleurs du ciel. Le trekking des « 3 lagunes » permet de découvrir l’essence du parc de Sajama, offrant au marcheur des plaines ouvertes dévorées par les llamas et quelques tranquilles chevaux au chômage technique, des montagnes enneigées qui crient leur solitude, ou des étendues d’eau sereines abritant des flamants roses surprenant par leur capacité d’acclimatation.
Le trek des trois lagunes de Sajama
Depuis le village de Sajama, on suit la rivière Juntuma, qui borde quelques maisons à l’allure délabrée. Huit kilomètres séparent Sajama des geysers, mais le chemin est plat et facile, seules quelques llamas lèveront la tête avec anxiété sur votre passage. Elles n’aiment pas les inconnus.
Les geysers sont petits, n’attendez pas des crachats du sol à la façon islandaise ou yellowstone. Ils sont toutefois splendides, se parant des couleurs chimiques de la soupe primitive, habités par des algues multicolores et expulsant leur fumée avec constance.
Une fois ces curiosités photographiées, il est temps de se mettre en route pour le Chili. Car la suite de la marche monte sur quelques centaines de mètres de dénivelés en direction du pays voisin, où la frontière est indiquée par un panneau situé quelques dizaines de mètres avant la première lagune. Ce n’est qu’après que les choses sérieuses commence, et que le théâtre faunique des viscachas et flamants roses ouvre les rideaux.
La simplicité et l’authenticité du lieu laissent bouche-bée. Rien ne vient troubler l’imperturbable placidité des animaux, hormi les pas remarqués du visiteur. Il émane une harmonie silencieuse dans la lagune, où les oiseaux se meuvent avec fluidité et naturel même lorsqu’ils sont effrayés.
La troisième lagune s’atteint après une courte marche dans une atmosphère martienne. La vie semble avoir été aspirée par une force cosmique : les rochers sont rassemblés en éboulis, les pics enneigés glacent le sang par leur froideur. L’hostilité recule sous vos pas, mais sans jamais partir très loin ni vraiment se cacher, la discrétion n’a jamais été une qualité montagnarde.
Lorsque l’on redescend sur Terre pour retrouver un lieu plus oxygéné, c’est pour profiter de la dernière lagune, dont l’équilibre est troublant. Ressemblant à un lac canadien de carte postale – sans forêt toutefois – les reflets multiplient le nombre de montagnes. Le temps est à la contemplation poétique, que rien ni personne ne saurait perturber.
Profitez du calme avant la tempête, car le retour vers Sajama est long. Une dizaine de kilomètres vous attendent, avec des descentes parfois périlleuses. Les souvenirs des lagunes seront d’un grand secours, rappelant qu’un monde de tranquillité fait dorénavant partie de votre être, votre force intérieure est resourcée. La lutte jusqu’au village ne saurait se solder qie par votre victoire.
Le Sajama, le colosse de la Bolivie
Si la Bolivie avait un toit, le Sajama en serait le pilier principal. Atlas du pays, le Sajama et ses neiges éternelles attire les touristes du monde entier, qui cherchent à défier les hauteurs du sommet.
Mais le Sajama protège bien d’autres choses. Il abrite des forêts uniques de queñua, que l’on trouve à son pied en grande quantité. On déniche des tatous, difficiles à observer dans leurs millieux, mais des squelettes rongés jusqu’à l’os sont autant de rappels que l’animal existe bel et bien dans la région, et que les pumas et condors s’en régalent.
Le Sajama c’est enfin une vue imprenable sur ses frères titans de la région. Tels les frères Parinacota et Pomerape, qui comme dans une tragédie grecque sont les incontournables soutiens de Sajama.
Le Sajama offre des vues surprenantes et apocalyptiques. Mais c’est toute la région qui reste incontournable pour les amoureux de la nature se rendant en Bolivie. Des eaux thermales permettent au marcheur de se reposer – hors période de pandémie -, des contes et légendes de sorcières de peuples d’autrefois agrémentent les repas avec les locaux. Et avec beaucoup de chance, peut-être pourrez-vous observer des pumas et condors.
Lieu unique de Bolivie, lieu magique du monde, le Sajama envoûte l’âme poétique du marcheur comme nul autre.