C’est lors d’une discussion avec un colibri, à 4200 mètres d’altitude au Pérou, que la nécessité de protéger la biodiversité m’est apparue sous un nouvel angle : sans diversité animale, nous deviendrons incapables de rêver.
– Que fais-tu ici, colibri ? Nous sommes à une altitude qui ne te sied guère.
Le volatile me lance un regard interloqué, prend brusquement un peu d’eau dans son bec, retrouve sa pierre à toute vitesse, et m’interroge :
– Et qui es-tu pour décider de ce qui est possible ou ne l’est pas ?
– J’ai toujours cru que tu devais vivre là où les plantes sont abondantes et t’offrent du sucre à t’en remplir le gosier. Que si tu ne trouves pas des forces toutes les heures, tu prends ton envol pour la dernière fois.
– Es-tu oiseau ? Que sais-tu de moi ?
– Je t’observe et tu ne corresponds pas à ce que tu devrais être. À ce que les gens disent de toi.
– Que disent les rumeurs à mon sujet ? Le colibri, aussi nommé « picfleur » en Amérique latine, prend une pose commode, comme s’il attendait une longue réponse de ma part.
– Qu’il est si difficile pour toi de te nourrir, que l’on devrait accrocher des abreuvoirs contenant eau et sucre pour t’aider à survivre. Que tu peux être si petit qu’on t’appelle le colibri mouche. Que tu bats des ailes si vite qu’on te croirait vouloir faire la nique aux drones créés par les humains.
– Je vois.
Le colibri prend un air songeur. Il ne doit pas avoir l’habitude qu’on le sous-estime. Il s’envole brièvement pour butiner une fleur que j’aurais juré être immangeable.
– Qui existât en premier, les drones ou moi ?
– Toi, colibri.
– Est-ce que j’existais avant que l’on me nourrisse ?
– Oui, colibri.
– Tu comprends quelques miettes à mon sujet, mais je ne t’en dirai pas plus. Tu ne pensais pas me trouver ici, car tu sais bien peu de choses. Et c’est pour cela que tu voyages, n’est-ce pas ? Parce que tu es ignorant.
– Je ne saurais mieux exprimer mes émotions, colibri.
– Si je disparaissais, tu penserais que je n’existais que pour être nourris, incapable de me sustenter dans les hautes montagnes de Huaraz ou dans le désert de la Tatacoa. Tu croirais que tout ceci est impossible, car tu ne l’aurais jamais vu. Et peut-être n’aurais-tu jamais construit d’avion ou de drone.
C’est à mon tour de me faire pensif. Je ne sais si c’est la raréfaction de l’oxygène qui me fait voir le colibri plus grand qu’il ne l’était il y a quelques phrases.
– Comment apprendre, colibri ?
– Cesse de croire que tu sais. Cesse de réduire mon espace vital. Le jour où je ne serai plus là, tes rêves s’appauvriront, et tu croiras connaître tout ce qui est possible. Tu ne sais rien, et tu explores pour te guérir de ton arrogance. Sans les milliards d’enfants de la Terre, ton espèce dépérira. Elle peut synthétiser sa nourriture, mais ne peut mécaniser le monde onirique grâce auquel elle invente, se questionne, et s’émerveille.
– Colibri, tu sais quoi ?
Le pic dressé vers le soleil, avec le cou tendu à l’extrême qui fait apparaître une variété infinie de couleurs, le colibri me regarde en coin :
– Que veux-tu me dire ?
– Il faut que tu nous donnes toutes tes forces pour que nous soyons meilleurs. Nous ne suivons pas le bon chemin, nous manquons d’imagination. Nous avons oublié l’original de nos drones.
– Très bien. Laisse-moi te montrer une utopie. Elle n’existera qu’un temps, pendant les secondes où j’arrêterai le vent et ferai briller le soleil. Ensuite, promets-moi de rapporter notre échange à ton espèce.
– Entendu, colibri.
Et je pénétrai dans l’antre du colibri, un lieu où l’on pouvait se nourrir d’un seul regard pour les milliers de nuits à venir.