Venir à Genève depuis la Bolivie n’a rien d’une sinécure. L’absence de devises étrangères empêche tout achat de billet d’avion, le prix prohibitif de l’essence prévient les déplacements locaux, et la pire crise économique depuis 30 ans ravage le pays. Une bonne dose d’abnégation est nécessaire si l’on est Bolivien et que l’on souhaite se déplacer à l’étranger. Malgré ces obstacles, une quinzaine de militants boliviens et moi-même sommes parvenus à nous rendre à la cité de Calvin pour expliquer aux diplomates du monde entier ce qu’est devenue la Bolivie. Car la situation, aussi bien pour les Boliviens que pour l’Amazonie, est critique.
Par exemple, en cette seule année 2024 le pays enclavé d’Amérique du Sud a perdu 100’000 km2 (2,4 fois la superficie de la Suisse) en raison d’incendies – naturels et criminels. La pollution au mercure provoquée par l’extraction minière dans la jungle mais également dans les montagnes fait des ravages dans les communautés : le refus du gouvernement de procéder à des examens médicaux à poussé les locaux à requérir que des experts internationaux analysent le taux de mercure dans leur système sanguin. Le résultat est terrifiant : les concentrations du métal sont de 10 à 40 fois supérieures aux normes maximales admises par l’OMS, selon les études de l’Université de Carthagène.
Les crises économique et environnementale restent méconnue à l’étranger, surtout depuis que le premier président d’ascendance autochtone, Evo Morales, fut élu en 2006. Les dirigeants prétendent défendre leurs peuples originels et leur nature, aussi dénommée la « Pachamama ». C’est faux.
Préoccupée par son pays qui « prends la direction du Venezuela », Ruth Alipaz, une représentante du peuple indigène uchupiamona, a fait le déplacement à Genève du 18 au 28 novembre pour profiter d’un mécanisme du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, à savoir l’Examen Périodique Universel (EPU). Durant deux semaines, aux côtés de nos compagnons, elle a expliqué sans relâche aux diplomates, à la presse et à la société civile internationale que la réalité bolivienne est bien éloignée du conte de fées parfois écouté en Occident. « Des réunions sont même organisées à Genève même, où les représentants de mon gouvernement ne font face à aucun contradicteur et sont libres d’aller distiller leurs mensonges aussi sûrement que le mercure m’empoisonne ; les Occidentaux sont mal informés sur notre pays, nous souffrons de gouvernements successifs qui depuis 18 ans fomentent la division au sein du peuple, pillent sans égards les richesses naturelles et maltraitent les communautés indigènes ».
Franco Albarracin, avocat et enquêteur du CEDIB, une ONG qui œuvre à documenter les violations de droits humains depuis 50 ans, renchérit : « l’État de droit est sans cesse bafoué. Les arrestations extra-judiciaires se multiplient, et le gouvernement n’hésite pas à kidnapper des gouverneurs de l’opposition. Notre crise est multisectorielle, et notre gouvernement ne propose aucun plan pour nous sortir de nos crises, en particulier la crise économique. Au contraire, il est en lutte interne pour le pouvoir ! »
En janvier 2025, la Bolivie sera évaluée par les 192 autres pays de la planète lors de l’EPU. Cette quinzaine de Boliviens a bon espoir que la Suisse et les pays qui prendront la parole pour critiquer la gestion de leur pays seront moins diplomatique que lors du dernier EPU, en 2019. « Les diplomates ont été plus attentifs cette fois-ci. Je pense qu’ils ont été convaincus par les données que nous leurs avons présentées. Il faut dire que rares sont les ambassades qui peuvent encore travailler en Bolivie. Les pays, ainsi que l’ONU, sont plus réceptifs. La presse européenne est toutefois plus difficile à convaincre, et dépeint bien souvent une version romantisée de la Bolivie, alors que nous souffrons », conclut Ruth Alipaz.
Ruth, Franco et moi-même continuerons d’informer sans relâche le grand public. A Genève et ailleurs. Pour que la Bolivie ne se transforme pas en un nouveau Venezuela.