Demander une permission à la nature, un contrat social autochtone

Bien que la modernité[1] semble destinée à submerger notre planète dans un déluge de calamités environnementales et mettre en péril la survie d’Homo sapiens, il existe d’autres philosophies qui définissent leur rapport à la nature qui peuvent offrir d’autres modèles de relation. Des cultures qui, voyant l’être humain comme un extension de la nature, seraient en communion avec celle-ci d’une manière qui échappe à la philosophie des modernes. Des cultures qui, peut-être, pourraient nous aider à trouver des solutions pour éviter la 6ème extinction du vivant[2].

Car la modernité a ceci de particulier qu’elle s’adapte à tout, fait de feu tout bois pour autant qu’elle produise plus, qu’elle transforme une forme du réel en une forme adaptée à nos besoins. Le projet moderne présuppose que nous sommes libres de faire ce qu’il nous chante de notre environnement; la pensée pré-moderne, notamment représentée par les peuples autochtones aujourd’hui, postule que nous avons des responsabilités et que nous devons limiter nos besoins et restreindre notre transformation de la nature. La réflexion présenté ici sur la modernité ne procède pas d’une nostalgie rousseauiste « du bon sauvage » ou d’un droit naturel dépassé, bien qu’elle postule deux éléments: 1/ que la modernité est responsable de la 6ème extinction de la vie sur Terre, puisque c’est bien la modernité qui a, pour la première fois de l’histoire, modifié l’environnement de telle manière que la vie pour l’homme est en danger; 2/ que les pensées non-modernes peuvent se révéler supérieures à la modernité en ce qui concerne la préservation de l’environnement. Les faits démontrent ce deuxième élément : les autochtones, du moins pour ceux qui bénéficient encore de cette connexion intime, organique avec leur environnement, parviennent à vivre dans une harmonie qui reste inconnue pour les modernes. 80% de la biodiversité de la planète se trouve dans les régions habitée par les peuples autochtones[3]. La modernité pourrait-elle s’inspirer d’autres formes de contrats sociaux pré-modernes ? Pour mener à bien cette interrogation, il conviendra de se pencher sur l’histoire, la sociologie et la philosophie moderne, pour la comparer à la cosmóvisíon et le contrat social autochtone.

La déconnexion du physique dans le monde moderne, une histoire d’ingénierie

Il faut examiner la ressemblance aussi sur les choses qui appartiennent à des genres différents, chercher comment le rapport d’une chose avec une seconde se retrouve en une autre par rapport à une autre encore, par exemple le rapport de la science à ce qu’on sait, dans le rapport de la sensation au sensible.

Physiques, Aristote

La modernité est une philosophie globale consistant à évacuer le sacré de la nature dans la consécration d’un homme démiurge. Le coeur du projet moderne est de créer un humain sans Dieu et ni limite, capable d’adapter et transformer son environnement à loisir pour satisfaire ses exigences. Et, admettons-le avec franchise, cela a très bien fonctionné jusqu’ici : les limites que nous pensions imposées par la nature ont été tant et si bien repoussées, que nous sommes à l’aube[4] de la réécriture de notre ADN, du transhumanisme[5] ainsi que de la création d’une vie informatique artificielle, nous laissant entrevoir une ère où nous nous détacherons d’un plus grand nombre de contraintes naturelles encore. Ces nouveaux outils seront la confirmation de notre toute puissance sur notre environnement, qui deviendra définitivement notre sujet. Et un maître ne montrant jamais d’intérêt pour son esclave, la nature est devenue secondaire dans la pensée moderne. Une décoration, ou un outil.

the machine in the prestige

Si la déconnexion de nos règles biologiques et environnementales devrait selon toute vraisemblance s’accélérer à l’avenir, il me semble nécessaire d’étudier les raisons de la déconnexion actuelle, car le futur risque de n’être qu’une intensification de l’actuel. Le projet moderne s’est détaché de la nature au profit de sa propre technologie[6], et je vois trois raisons intrinsèques à cela : une raison psychologique tout d’abord, qui nous pousse à fuir la réalité pour vivre plus heureux, puis deux raisons épistémologiques ensuite, qui en raison de la complexité du projet moderne nous empêchent d’appréhender la réalité dans son ensemble. La technologie nous déconnecte du réel, alors même que la science pourrait nous en rapprocher.

Accordons-nous sur la définitions de termes tels qu’outils et technologies, utilisés de manière interchangeable plus loin : il s’agit ici d’objets matériels, obtenus de manière artificielle à partir de la transformation de ressources naturelles, dans le but d’accélérer ou d’augmenter la qualité de l’obtention d’un bien-être objectif ou subjectif de l’être humain. Il est important de ne pas confondre sciences et technologie, par exemple, puisque dans le premier domaine il s’agit d’une production scientifique de connaissance, alors que dans le second il s’agit (ou il peut s’agir) d’une ingénierie résultante de la première au moyen de l’extraction de ressources. L’extraction et la transformation des ressources est primordiale, dans le cadre de cette analyse, pour différencier science et ingénierie. Et comme nous allons le voir, les deux domaines peuvent même s’opposer l’une à l’autre dans le cadre de la préservation de la nature.

Se protéger

La première raison de la déconnexion de la nature est due à un rejet par le Moderne de la réalité pour éviter toute connaissance qui risquerait de déstabiliser sa cohérence interne. Pour éviter d’avoir à se confronter avec ce qu’il perçoit comme une hypocrisie et maintenir une paix de l’âme, il rejette les informations relatives aux conditions d’obtention de ses outils. Il préfère ainsi fuir les informations liées à une fabrication contraire à l’éthique, comme le travail d’enfants, la destructions d’habitats humains, ou la souffrances animales, évitant ainsi tout chagrin que lui causerait immanquablement la connaissance. Ainsi, s’infligeant volontairement la cécité, le Moderne préfère ignorer, se drapant parfois dans un fataliste « que peut-on y faire ? », éteint commodément la télévision ou change de chaîne YouTube au moment où l’on aborde le sujet qui fâche; heureux les simples d’esprits, car les portes du paradis leurs sont grandes ouvertes. Concrètement, alors que la plupart des Modernes refuseraient que leurs propres enfants travaillent dans une usine de vêtements bangladeshis, ou de mettre eux-mêmes à morts des animaux d’élevage, ils préfèrent fuir, ou oublier aussi vite qu’ils ont appris l’information, les conditions de fabrications de leurs outils. Ils savent que pour obtenir une viande bon marché, une chemise au prix défiant toute concurrence, il leur est nécessaire de s’asseoir sur leur humanité et s’accommoder de l’inacceptable si son entourage ou environnement était impliqué dans la production de ses outils. S’il s’agissait de nous-mêmes ou de nos proches, nous dénoncerions immédiatement le processus de transformation de ressources, cette ingénierie. C’est, me semble-t-il, ce processus qui est majoritairement à l’oeuvre dans le cas de la 6ème extinction du vivant et du changement climatique : le Moderne sait parfaitement que ses civilisations, grâce aux sciences, sont sur le point de rupture, et décide souverainement d’en ignorer la réalité, pour le bien de sa paix intérieur. L’être humain souffre lorsqu’il est en état de déséquilibre entre ses valeurs et la pratique de celles-ci, c’est pourquoi afin d’accepter les bienfaits de la modernité, il est crucial de savoir fuir la réalité. Pour profiter de la modernité, l’ignorance de son ingéniérie est une précondition, ce qui a pour conséquence de déconnecter mécaniquement le Moderne de son environnement. La modernité est une aliénation de la réalité, sans laquelle il deviendrait impossible de profiter de ses bienfaits.

La complexité du système

La deuxième raison de déconnexion tient à l’impossibilité ontologique de la modernité de connaître l’origine des outils modernes. Qu’il s’agisse de la provenance de l’huile utilisée pour frire des repas surgelés, ou des conditions de fabrications d’habits à l’autre bout de la planète, un produit moderne est conçu le long d’une chaîne d’échanges mondiaux si complexe qu’il est illusoire de prétendre la connaître dans sa globalité. Les vis proviennent d’un pays, les écrous d’un autre, alors que le métal les constituants d’un autre encore. Le système d’échange moderne, issue de la recherche des prix les plus bas, est si mondialisé qu’il est devenu impossible de percevoir les mailles du réseau national et international tissé pour produire les choses les plus simples, comme de la nourriture ou des vêtements. Épistémologiquement, la connaissance de notre ingénierie s’est mise hors de notre portée[7]. Si nous ne pouvons plus concevoir l’impact global de la modernité, il nous devient donc impossible d’expérimenter notre environnement, puisque nous ne le comprenons plus : et comme nous ne pouvons plus expérimenter notre rapport au réel, nous nous détachons toujours plus de notre environnement.

La spécialisation technologique

Enfin, troisième élément, la spécialisation technologique[8], qui est consubstantielle à toute civilisation qui prospère économiquement, contribue elle aussi à séparer le Moderne de son environnement. Cette spécialisation produit en effet deux conséquences : la première, c’est la fusion de l’homme avec ses outils, ce qui l’écarte toujours plus de la nature, chaque fois un peu plus oublieux que ses propres outils proviennent de la transformation de la nature; la deuxième conséquence a pour effet de perdre la vue d’ensemble généraliste, puisque l’on se spécialise toujours plus dans une domaine plus pointu.

Avant de présenter ces deux conséquences, il importe de présenter un bref historique des révolutions industrielles pour pleinement saisir la suite de la réflexion : les révolutions industrielles sont nées au XVIIIe avec la vapeur et les premiers outils mécaniques, puis ont connu un coup d’accélérateur sans précédent avec le fordisme et le taylorisme au XXe siècle, et enfin une poussée redoublée lors des révolutions informatiques et génétiques des XXe-XXIe. Au fur et à mesure de ces révolutions industrielles – qu’il conviendrait de nommer révolutions technologiques – l’homme s’est mué en un service utile à la communauté. En effet, les sociétés modernes sont utilitaristes[9] et la société investit sur ses individus pour qu’ils puissent maximaliser le potentiel de bien-être pour elle-même. Pour ce faire, les bénéficiaires s’expertisent toujours plus dans la connaissance et la manipulation des outils, dont le « champs d’action » (l’augmentation du bien-être pour la société) est progressivement plus limité et restreint : la recherche expérimentale se focalise sur comment guérir une maladie rare, l’ingiénérie sur comment atteindre Mars ou construire un ordinateur quantique. Il s’agit un processus d’apprentissage au cours duquel le bénéficiaire profite de la technologie et des savoirs mis à sa disposition par sa communauté pour se former, puis remboursera son dû par le biais de son travail plus tard. Les révolutions technologiques ont certes remplacées la force animale, mais elles lui ont substitué la formation des Modernes qui, peu à peu, sont devenus à être des extensions de la société, des bêtes savantes destinées non pas à tirer des charges, mais à gérer des outils au nom du bien commun. En d’autres termes, les Modernes sont devenus des outils totaux au service d’une collectivité entière. Leur utilité pour le projet moderne est mesuré selon le bien-être qu’ils peuvent apporter à la société. Les Modernes ont fusionné avec leur communauté d’une manière inconnue jusqu’aux révolutions industrielles, une phénomène qui ne cesse de s’accélérer avec la spécialisation, cherchant une niche technologique où ils seront le plus utile à la collectivité. Un processus invisible, mû par son inertie qui car il ne se discute pas, mais que l’on peut observer malgré tout. Un processus qui ne pourrait avoir lieu sans la création d’une identité nationale; sans la délimitation de la communauté, soit la division du territoire comme l’on divise le travail, il serait impossible d’identifier les bénéficiaires des largesses de la collectivité et investir en eux. Cette identité nationale, inconnue avant les révolutions technologiques, et nécessaire pour qu’un projet politique moderne puisse voir le jour.

Les révolutions technologiques offrent également des outils toujours plus efficaces au Moderne pour dépasser sa conditions. Des machines qui lui permettent de creuser plus profond, des avions qui lui offrent de voler près des cieux, ou encore des téléphones qui lui permettent de parler plus loin, la technologie une extension de l’homme sans qu’il en ait conscience. Les outils se sont rapprochés de l’homme dans une lente danse nuptiale qui, dans un mariage prochain, lui donneront de nouvelles compétences physiques, le guériront de nouvelles maladies : dès cet instant, la fusion organique sera totale, et il deviendra impossible de distinguer l’homme de ses outils. Cette spécialisation, qui a participé à une explosion du bien-être des Modernes, de sa possibilité « d’ingénierier » la nature, a été permise par la mise en commun des savoirs et de pratiques chaque fois plus débarrassée du fardeau physique, mais surtout, par la catégorisation, le découpage et subdivision de la nature. Afin de se spécialiser, on étudie une portion toujours plus restreinte de la réalité, on réduit notre champ de rechercher jusqu’à être spécialiste des champignons de l’Auvergne au XVIe siècle, ou de la résistance de circuits imprimés à base de super-conducteurs. Les communautés modernes ont créées l’individu moderne, qui lui-même fusionne avec des outils que lui procure sa société. Il s’agit donc d’un cercle vertueux (ou vicieux) dans lequel la société fournit des nouvelles capacités de spécialisation à ses éléments pour qu’ils puissent produire des outils engendrant à leur tour une plus grande spécialisation. Le tout au service de la maximisation du bien-être.

La nécessité de se spécialiser toujours plus dans l’utilisation de la technologie a toutefois comme première conséquence une distance toujours plus grande qui sépare l’homme transformé en outil de la nature qui est à l’origine des outils. Au fur et à mesures que les outils sont devenus moins encombrants et incorporés au Moderne, il est devenu chaque fois plus difficile de ressentir la nature à travers nos outils. Un boeuf qui aide un paysan à travailler la terre connectait le pré-Moderne à son environnement. Une usine, déjà beaucoup moins, puisqu’on ne réalise déjà plus la quantité de matériel à extraire de la nature et à transformer. Mais aujourd’hui, la situation est toute autre : un petit téléphone intelligent, un pacemaker, un bouton pour régler le chauffage dans sa maison font oublier au Moderne la longue chaîne d’extraction et de transformations nécessaires à son bien-être. Nous oublions les boeufs (pour faire manger les ouvriers), les usines (qui procèdent à la transformation), les montagnes de matériaux pour créer un smartphone, les usines de production ou d’assemblage, le transport des outils… Nous ne voyons que le résultat final, pensant que les quelques grammes de silicium ou cobalt n’ont pas un bien grand impact sur la nature.

Déconnectés de la nature alors que nous nous branchons à nos propres outils, nous parvenons ici à la seconde conséquence : plus nous nous spécialisations, plus nous perdons la vue d’ensemble de nos actions. Il ne s’agit pas de la limite à notre connaissance déjà abordée (la complexité du système le rend impossible à comprendre), mais une séquelle de la spécialisation dans un champ de savoir restreint (il est impossible de consacrer le temps nécessaire à l’acquisition de tous les savoirs). Un ingénieur en hydraulique ne peut pas comprendre les plaintes d’un biologiste quant aux conséquences de la construction d’un barrage pour la faune et la flore, car il ne connaît rien à la biologie. Un vendeur d’automobiles électriques encore moins les plaintes d’un activiste environnemental qui veut protéger un désert de sel des conséquences de l’extraction du lithium. Les savoirs se compartimentent et les responsabilités se divisent : les ingénieurs expliquent qu’ils se limitent à extraire un produit A, ou à transformer en sous-produit B, ou à assembler les produits C et D. Ils sont spécialisés dans un domaine particulier, et ne peuvent tenir compte d’un éventuel effet papillon. L’absence de vision générale du projet moderne, qui fusionne l’individu avec ses outils, découple celui-ci de la nature, dont il n’en comprend plus que de sections saucissonnées et dont il n’a pas à assumer la responsabilité de la catastrophe créée.

En somme, le projet moderne tient du paradoxe : alors qu’il encourage à connaître de manière accrue la nature d’une part, il déconnecte l’observateur de la nature d’autre part. Plus on en sait sur la nature, moins on la ressent. Parce qu’ils ne veulent ni ne peuvent plus expérimenter la réalité, mais cherchent seulement à l’analyser et la transformer, les Modernes se séparent de la physique (de phúsis, en grec, terme qui peut être traduit par la « nature »), redirigeant le respect et la crainte pour la nature d’autrefois en direction de leurs propres outils modernes, qui sont les nouveaux dépositaires du sacré. Le sacré n’a jamais disparu lors de la modernisation des sociétés, il s’est simplement déplacé sur d’autres valeurs, pouvant à la fois désacraliser la nature et continuer diviniser un personnage historique et/ou mythologique. Un paradoxe qui s’accommode pleinement de la méthode scientifique, puisque cette méthode requiert précisément de se mettre à distance de l’objet d’étude pour mieux le comprendre, et reste satisfaite du moment que l’on ne sacralise pas la nature, son champ de recherche. Au contraire, même, si la nature était sacrée, la science ne pourrait pas mener bien de ses expérimentations qu’elle juge nécessaire.

Tout semble s’emboîter parfaitement dans le projet moderne, ne plus ressentir la nature n’est pas seulement une conséquence du mode de vie technologique, mais une nécessité de celle-ci. Ou plutôt, tout serait parfait, si la modernité n’était pas la cause de la perte de biodiversité et du changement climatique.

Le projet moderne et ses germes de mort

Comme nous venons de voir, dans le projet moderne, la nature est un objet et non plus un sujet. On ne peut échanger avec un objet, on ne peut avoir d’émotions positives à son égard. Nous ne pouvons nous mettre en relation avec ce que nous ne voyons que comme une utilité pour notre bien-être, une source passive pour celui-ci.

Pourtant, cette même science qui peut se transformer en ingéniérie prédatrice pour l’environnement, nous explique aussi que cette même ingéniérie serait la source de notre malheur prochain : l’extraction et la transformation de la nature mettent en danger la planète et sont à l’origine de l’extinction du vivant, nous alertent les sciences. Malgré ces mises en gardes, les Modernes ont passé un pacte de Faust, profitant du moment présent, voulant oublier qu’il y aura un prix à payer plus tard. Il y a quelque chose d’absurde au coeur du projet moderne : plus ses participants en savent sur la nature, moins ils l’expérimentons et s’en éloignent, et parce qu’il s’en éloignent, ils se mettent en péril. Plus les scientifiques, qui eux aussi ont recours aux outils modernes, dévoilent les secrets de la nature, plus les ingénieurs produisent des outils qui la spolient et mettent en péril l’humanité. La connaissance et le bien-être moderne sont, ontologiquement, à la fois les bourreaux de notre environnement, et ceux qui nous avertissent que nous sommes nous sommes les architectes de notre future décadence.

c'est l'atome ou la bougie

Allons plus loin encore: puisque l’ingénierie n’a comme seul but que le confort et la survie de la communauté, remettre en question ses activité destructrices pour l’environnement relève du pécher. La rationalité moderne, comme nous le verrons dans la partie suivante, place l’Homme au centre de son projet, comme l’utilitarisme le réclame[10]. Ainsi, comment pourrait-on critiquer le projet moderne, lui qui n’a d’autre soucis que de protéger ses participants ? Hier, les détracteurs de l’énergie nucléaire se voyaient opposer le slogan « c’est l’atome ou la bougie », et aujourd’hui les remises en question de l’extractivisme et la consommation moderne sont considérées comme des positions « d’idéaliste », de « rêveur », voire de « hippie ». Le projet moderne est ainsi incapable de changer de direction, car les fondations du projet reposent sur la maximalisation du bien-être humain, et que la transformation des ressources naturelles y est très bien parvenu jusqu’ici. La gloire de la modernité en pourrait également en être sa tombe.

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Résumons : plus nous comprenons la nature en la désacralisant au moyens des sciences, plus elle perd de sa tangibilité pour le moderne : il l’expérimente chaque jour un peu moins, reclus dans un monde-outil protecteur et bienfaiteur créé pour satisfaire nos besoins. Mais, nous constaterons ici, et ce problème est en lien avec les contradictions mentionnées ci-dessus, que le moderne souffre de sa coupure avec son environnement. Sa déconnexion est si forte que depuis ses cités bunkérisées qu’il est prêt à payer une fortune pour profiter d’une plage, une montagne (qui sera toutefois tout aussi aménagée, restant au service de ses désirs esthétiques et bienfaiteurs). Mais il cherche à tout prix à se reconnecter à son environnement lointain, car ses outils ne lui suffisent pas; comble de l’absurdité moderne, il paie pour être guidé dans des bois et embrasser des arbres. Le confort inouï d’Homo sapiens au XXIe siècle est le produit d’une nature dont on ne veut plus rien savoir, satisfait de pouvoir sous-traiter à un spécialiste sa manipulation, un spécialiste qui a d’ailleurs perdu toute vue d’ensemble, qui nous offre une ignorance salvatrice sur le plan éthique mais dont la coupure de la nature nous rend malheureux. Les philosophies des modernes sont incapable d’accoucher d’un changement personnel et social, car elles nous déconnectent du sujet à protéger, notre environnement.

La modernité consiste à ignorer progressivement, volontairement ou involontairement, le mal causé à la nature. La déconnexion de l’homme moderne de la nature a pour conséquence qu’elle n’existe plus dans son espace mental.

Les conséquences de la modernité sur la nature sont connues, les rapports du GIEC se succèdent et sont chacun plus alarmants que le précédent. Les idées sont techniques, car il est impossible à un scientifique de proposer autre chose. Il fait chaud ? Utilisons des climatiseurs. Il fait froid ? Chauffons-nous au panneaux solaires ou au gaz naturel. La sixième extinction du vivant abordée sous un angle holistique, qui serait connecté à notre environnement, est évidemment rejeté, car il ne s’emboîterait plus avec le projet moderne de maximalisation du bien-être. Le seul moyen de mener le projet moderne consiste à transformer la nature ; et la déconnexion du Moderne est une nécessité pour mener ce projet, mais à en croire les plus éminents représentant de la modernité (les scientifiques), ce projet n’est destiné qu’à nous assurer du bien-être que pour quelques siècles, et cette période bénie touche à sa fin.

Et si aux côtés de la rationalité moderne, incapable de nous sauver à long terme, il existait des philosophies qui nous reconnecteraient avec la nature, et qui pourraient bousculer notre contrat social ?

Des origines philosophiques similaires : les pré-modernes d’ici ou d’ailleurs

Sans Dieu point de nature et sans nature point de Dieu ; puisque tous deux sont même chose et n’ont pas de rôles séparés.

Sénèque, Des bienfaits, Livre IV

Comme nous venons de le voir abondamment, le monde moderne s’est mécaniquement déconnecté de la nature. Mais il n’en n’a pas toujours été ainsi : les fondements de la pensée occidentale (que nous qualifierons de pensée pré-moderne) sont enracinés dans le respect de la nature, et la fusion avec celle-ci. On retrouve une contemplation naturelle et respectueuse chez les philosophes présocratiques bien sûr, mais le respect pour la nature est total au sein de l’école cynique grecque et de ses héritiers de l’école stoïcienne chez les Romains. La Méditerranée, toujours bouillonnante de mixité et d’échange intellectuel, a offert au monde la philosophie de Sénèque et d’Épictète qui fusionnaient avec l’univers, se soumettant à une vision déterministe invitant l’homme à obéir au destin, plutôt qu’à chercher d’en bouleverser l’ordre naturel. Cette philosophie de la vertu était très proche de la vision autochtone, d’hier comme d’aujourd’hui. Toute chose humaine et non-humaine trouvait sa place dans l’agencement du cosmos dans la pré-modernité, remplacée ensuite par d’autres philosophies et religions qui séparent l’homme de son environnement.

En raison de l’influence du christianisme, de l’aristotélisme de la Renaissance ou du cartésianisme un peu plus tard, des pensées plus ou moins ordonnées qui présupposent la domination de la nature par l’homme apportent une efficacité dans la transformation de la physique pour les besoins des sociétés occidentales. Mais tels des nouveaux-nés expulsés du corps matrice, les modernes-en-devenir souffrent progressivement, au fil des siècles, de ne plus trouver leur place dans un monde ou les membres de la communauté deviennent des outils au service de la communauté. Le grand mensonge est de leur faire croire que leur identité propre se trouve renforcée en les séparant de leur nature génitrice. La pré-modernité consiste à croire qu’il existe des limites, alors que la modernité, au contraire, est basée sur la croyance que tout est possible, et les limites une vue de l’esprit. Ce sont deux types de croyances diamétralement opposées, dont aucune ne reposent sur aucune type de preuve : elles reposent toutes deux sur des présupposés opposés. Il s’agit ici d’un point essentiel : malgré son efficacité sur la transformation de la nature et sa réussite dans la maximisation du bien-être physique, la modernité repose, tout comme la pré-modernité, sur une croyance impossible à prouver, des axiomes nécessaire à l’échafaudage technique et philosophique. Une donnée à garder à l’esprit, lorsque l’on prétend que la modernité est plus rationnelle; en réalité, elle est plus efficace, mais nécessite une adhésion qui va au-delà de la logique[11].

Historiquement, au fur et à mesure que la taille des communautés a augmenté et que la spécialisation de ses éléments la composant s’est accélérée, la les humains sont devenus des outils au service de la société de la même manière que la nature est devenue une simple utilité pour l’être humain. La modernité déshumanise son humanité de la même manière qu’elle dénature la nature. En réduisant la nature à un outil, nous-mêmes n’étant plus qu’une simple composante de celle-ci, les modernes se sont réduis eux-mêmes asservis. Marx croyait qu’un « homme total » [12] devait être maître de son environnement et de ses sens. L’homme divin de Marx, en réalité, a été engendré par le capitalisme, dans un nouveau contrat social qui prévoit que les moyens de productions aussi bien humains que naturels soient relégués à être outils destinés à la pleine et entière jouissance de la société. Le monde sensible devient ainsi un moyen de production : « Les philosophes n’ont fait interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer », écrit Marx dans l’Idéologie allemande[13]. La quasi-intégralité de la pensée moderne repose sur des dualismes : la matière contre l’esprit, l’humain contre la nature, l’individu contre la société. Même la métaphysique s’est construite en séparant la phúsis de la meta phúsis (ce qui va « par-delà la nature »); rares sont les philosophes modernes qui s’aventurent au-delà de la division de choses et osent les assembler, et la plupart sont influencés par la philosophie asiatique, tel Nietzsche. La pensée moderne occidentale est analytique, elle catégorise, nomme et sépare, tout le contraire d’une fusion avec la nature. Et cette pensée est, il faut bien l’avouer, la raison du succès de la modernité mais également responsable de la crise du vivant actuelle, où celui-ci est un simple appareil au service des sociétés modernes, à l’image de ces centaines de milliers de porcs élevés dans les gratte-ciels chinois.

Comme on le voit, la philosophie occidentale a pour racines deux approches radicalement opposées, et seule qui a menée vers une modernité déconnectée s’est imposées, certainement en raison de son succès sans précédent pour modifier le réel. Pourtant, l’autre approche, la pensée pré-moderne continue d’exister hors des sociétés modernes, qui n’ont jamais entendues parler de Spinoza, Aristote, ou Marx ni de leur fusion avec la nature. Les cultures « autochtones », étymologiquement « soi-même de cette terre », existent sur tous les continents, et sont les dernières à rechercher une connexion avec la nature. Elles subissent toutefois la modernité de plein fouet, et leur philosophie pré-moderne se débilite toujours plus, et bien des communautés autochtones n’ont plus les connaissances de leurs ancêtres, seulement les souvenirs de ces savoirs. Pour les plus vigoureuses d’entre elles, elles se « métissent », empruntant des éléments de la modernité pour les incorporer à leur propre culture. Mais la plupart passent sous le rouleau compresseur moderne, ne parvenant ni à résister à la violence de la modernité, ni à ses plaisirs, ses bienfaits, ni à la sécurité alimentaire et médicale offerte par cette culture répandue dans les endroits les plus isolées. L’être humain est après tout le même, où que l’on se trouve.

Toutefois, toutes les cultures autochtones, y compris celles en voie de disparition, conservent une différence fondamentale dans leur cosmovision, un mélange de philosophie et de mythologie, qui repose principalement à mon sens sur ceci : elles demandent la permission à la nature avant d’en extraire le moindre élément. Demander la permission : une anthropomorphisation de la nature, à qui l’on demande l’autorisation avant d’en prélever les poissons, les arbres, les fruits ou de chasser ses animaux. Aucun philosophe de la modernité, pas même les panthéistes comme Spinoza, n’oserait s’aventurer dans ce qu’il qualifierait (analyserait) avec dédain de la superstition. Car demander la permission à la nature va au-delà de respecter l’environnement : il s’agit de faire de la nature un sujet de droit, un membre de la communauté qui a voie au chapitre; une philosophie qu’à ma connaissance, même les pré-modernes européens n’ont jamais osé développer.

Demander la permission à la nature : objet ou sujet ?

Tout enseignement donné ou reçu par la voie du raisonnement vient d’une connaissance préexistante. Cela est manifeste, quel que soit l’enseignement considéré : les sciences mathématiques s’acquièrent de cette façon, ainsi que chacun des autres arts. […] il est évident que la connaissance a lieu de la façon suivante : on connaît universellement, mais au sens absolu on ne connaît pas.

Seconds Analytiques, Aristote

Demander la permission : voilà une idée saugrenue pour un moderne, qui verrait là une délimitation à son champ d’action présumé infini. Pour un héritier d’Aristote ou des monothéismes abrahamiques, on est en droit d’user de l’environnement puisqu’il est là, à notre service et inanimé. On lui est supérieur, et le maître-sujet n’a pas à s’enquérir des états d’âme de l’esclave-objet. L’homme est devenu dominant au fil des millénaires, grâce au concept de la parole notamment, qui chez Aristote fait de l’être humain un animal politique et donc l’extrait de la nature. On peut citer le concept de l’âme, cette étincelle divine réservée à l’homme et qui en fait un être super naturel. Cette supériorité mène ensuite au son concept d’égalité entre humains : le destin de l’homme est entre ses mains, ses mains seules, et bientôt même les rois seront illégitimes, puisque tous sont égaux. L’âme est réservée à l’homme, et bien que tous les humains deviennent égaux, ils restent toutefois supérieurs à une nature qui est dépourvue de l’étincelle divine. Le sacré lié à la nature a ainsi été progressivement écarté, tous les sacrés, et la nature, que l’on étudie et transforme grâce à son objectivation, et la nature est cantonnée à servir les intérêts des communautés humains. Boeufs, plantes, or, tout ce qui est peut être transformé industriellement pour nourrir, vêtir et conforter l’être humain, est extrait de la nature sans empathie pour celle-ci. Une vision qui a été uniquement remise en cause par les mouvements végétalistes, s’appuyant peut-être sur la pensée de Pythagore, un mathématicien mystique précédant Platon et Aristote de trois siècles : ces mouvements déclarent ainsi que la nature a des droits, qu’un chat, une rivière, et une forêt devraient avoir la personnalité juridique[14], soit la capacité d’être représenté en justice. Force est toutefois de constater que, jusqu’à la fin du XXe siècle, les philosophes sensibles à cette perception de la nature n’ont eu qu’impact politique ou social limité, et que seule l’Amérique Latine cherche à ses doter d’un nouvel arsenal législatif. Peut-être.

Maison bribri Usure intérieur

Demander la permission : chez les peuples autochtones, ceci est une conséquence de leurs cosmovisions où la nature est ordonnée, c’est-à-dire que tout y a sa place. Pour un autochtone enfanté par la glace, du sable, de la forêt, de l’océan ou des montagnes, ne pas respecter son environnement reviendrait à bouleverser l’équilibre du monde, un renversement où l’on verrait le fils ne respecter pas sa mère. Les Bribris du Costa Rica par exemple, croient que tous les cailloux que nous avons déplacés durant notre vie devront être remis à leur place dans l’au-delà; la logique, le logos grec qui est construit par l’être humain et qui est repris dans le christianisme presque tel quel, est pour les autochtones au sein même la nature, exactement comme le sont les mathématiques chez Platon. Mais alors que chez Platon, ce logos ne parle pas, chez les autochtones, il le fait; ainsi, l’agencement du monde se trouverait déséquilibré si nous ne communiquions pas avec la nature, et si non ne lui demandions pas l’autorisation préalable avant de le désorganiser.

Demander la permission : croire que les cosmovisions autochtones sont juste des pensées pré-modernes qui seraient en retard sur le monde moderne serait commettre une profonde erreur. Les penseurs qui défendent un autre rapport avec la nature, tels Pythagore, tous les cyniques et stoïciens, Saint-François d’Assise, Spinoza, Schopenhauer ou Rousseau, ont coexisté avec les pensées (ambivalentes) d’Aristote, de Kant, et de Descartes, qui ont supplanté ses concurrentes pour créer le projet européen pré-moderne : ce n’est pas la laïcisation des modernes vainqueurs qui les différencie des communautés autochtones, mais la désacralisation de l’environnement. Chez ces trois derniers auteurs, qui sont les pères des sciences et de l’industrie (et aussi des droits humains), l’homme est au centre de l’univers, un univers qui existe pour son bien-être. L’homme est frappé du sceau de l’égalité, mais aussi de la supériorité. Le capitalisme industriel n’aurait pu avoir lieu si l’homme n’était supérieur à la nature, ou si l’approche de manipulation de la nature chez Aristote n’avait gagné face à la cosmovision d’une nature sacralisée de Pythagore.

Demander la permission : dans la cosmovision autochtone, l’être humain est un berger de l’univers. Mais il n’en est que l’un des bergers, puisque les ancêtres, les esprits des lieux, le sont aussi. Il est un élément parmi tant d’autres, et sont rôle consiste à prendre soin de son environnement, sous peine de subir des calamités. Faillir à son devoir, c’est s’engager dans une voie où l’être humain souffrira, les liens communautaires se déliteront, les sécheresses ou les crues les forceront à se déplacer. Le contrat social, chez les autochtones, est bipartite : un accord passé entre la nature et l’humain. Nous sommes ici au coeur de la différence politique séparant entièrement les autochtones des modernes : chez ces derniers, le contrat social n’est le fait que de l’Homme, le seul à être autorisé par Dieu, par ses Dieux, ou par la biologie et les sciences, à passer un accord régulant la vie dans sa société. Chez les autochtones, la nature est une partie contractante, au même titre que l’Homme, et donne son avis au travers de signes, de chamans, de chefs politiques ou spirituels. Les sociologues, les politologues, les philosophes et les présidents ont remplacé les leaders spirituels; et les imaginer demander la permission à qui que ce soit relèverait de l’absurde, dans une démocratie moderne, passée sous la coupe du mesurable. Les dirigeants modernes n’ont que faire de la nature, car elle ne peut faire faire partie du contrat social : étant muette, elle et n’a pas accès au logos platonicien.

Quoi ! au milieu des richesses que la terre, cette mère bienfaisante, produit pour nos besoins, tu n’aimes qu’à déchirer d’une dent cruelle des chairs palpitantes ; tu renouvelles les goûts barbares du Cyclope, et, sans la destruction d’un être, tu ne peux assouvir les appétits déréglés d’un estomac vorace ! Mais dans cet âge antique dont nous avons fait l’âge d’or, l’homme était riche et heureux avec les fruits des arbres et les plantes de la terre ; le sang ne souillait pas sa bouche.

Les Métamorphoses, Livre V, Pythagore cité par Ovide

Rationalité et irrationalité dans les communautés modernes et autochtones

Deux enfants kogis sur la route

Pour un autochtone africain, asiatique, océanien ou américain, le cheminement du logos des Modernes est insuffisant pour comprendre l’univers. Le monde physique existe pour lui, il est tangible et accessible tout comme il l’est chez les Modernes, mais au contraire de ce dernier, la nature est un sujet de droit qui a voix au chapitre comme tout autre membre du contrat social – la nature a une personnalité invisible pour les yeux. Comme elle est incapable de s’exprimer, la seule manière d’entrer en communication avec elle repose sur une interprétation de sa volonté visible dans notre environnement, là où se retrouve manifestés ses désirs et ses conseils. La recherche de la réalité chez les autochtones ne s’entreprends pas uniquement par le biais de la raison, mais par aussi la fuite de la raison. Les mystiques communiquent avec les esprits de la nature, il sont en relation personnelle et constante avec l’environnement, et ont recours à des outils fuyant la raison (psychotropes, objets symbolisant la nature) destinés à les connecter à la muette nature. L’environnement est une partie intégrante de leur quotidien, un compagnon organique qui les guide dans leurs questionnements, un daemon socratique qui les mets en garde sur les limites à ne pas outrepasser, un prêtre qui les marie, un père rageur qui les engloutit lorsqu’ils ne suivent pas les lois de l’origine. Ces lois proviennent du monde spirituel, un monde hors de la portée de la mesure mathématique, de toute approche empirique ou de communication verbale explicite. Et si le monde physique est intimement connecté au monde spirituel, le premier est un résultat du second et non l’inverse, et l’autochtone privilégie la connaissance et l’application des règles du monde spirituel, ces lois de l’origine, sans toutefois nier que le monde physique ait ses propres lois.

Il y a des années de cela, un Kogi de Colombie à qui je faisais remarquer que je me sentais lié d’une quelconque façon à la lune, m’encouragea à aller plus loin : « Te sens-tu aussi connecté aux étoiles ? » Déçu par mon regard interloqué, il garda le silence. Il ajouta : « les petits frères (NDA: les Modernes) savent bien des choses du monde physique, dont ils ont acquis une maîtrise inégalée. Mais ils regardent à la surface des choses, ils ignorent tout de la réalité ».

Les autochtones expérimentent le monde physique, mais ils lui ajoutent une couche supplémentaire de règles métaphysiques que l’on pourrait rapprocher de la discipline philosophique de l’éthique chez les Modernes, si pour autant l’éthique pouvait posséder une volonté propre à laquelle se lier dans contrat social [15]. Le contrat social autochtone contient en son sein, il y a lieu de préciser, le rejet total de la pensée instrumentale des Modernes : tout n’est pas utile, tout n’a pas à être utilisé, l’utilité n’autorise pas à ingiénérer la nature – tout simplement parce que celle-ci est un partenaire, une réalité totale et sensible que l’on doit respecter. Le monde physique est une émanation de règles métaphysiques cachées, et non l’inverse; il y a de quoi déconcerter, de prime abord, un fidèle de la pensée occidentale.

Et pourtant. Selon le mythe fondateur des Bribris, leur peuple serait issu d’un épi de maïs. Le maïs est donc un lien entre l’invisible et le visible, qui accouche dans le monde physique d’une entité jusque-là éthérée. Un individu rationnel moderne, ferait remarquer aux Bribris qu’une telle chose est ridicule. Mais les Bribris, en parfaits connaisseurs de la religion chrétienne, lui rétorqueraient que plus d’un milliards de croyants pensent devoir leur existence à une côte d’Adam. Les Bribris, eux, pensent être nés du maïs, et les Chrétiens pensent descendre d’une femme qui doit sa vie au flanc du Premier Homme. En réalité, la majorité de la population moderne fait cohabiter des explications rationnelles et irrationnelles du monde dans sa cosmóvision, les sciences et les religions se disputant dans leur esprit sur tous les sujets, sans qu’aucune ne gagne entièrement. L’irrationalité coexiste ainsi avec la rationalité dans toutes communautés humaines, alors que seule sa légitimité diffère selon les cultures. En effet, si dans une culture moderne, l’irrationalité persiste, elle reste toutefois circonscrite au domaine privé, étant vue comme quelque chose devant rester hors du champ politique. La lutte pour éradiquer l’irrationalité du monde social reste féroce, et les sciences humaines s’écharpent à la faire reculer, clamant parfois qu’elle serait même morte[16]. Plus sérieusement, l’irrationalité connaît des variations d’intensité selon que la tradition politique d’une communauté soit laïque[17] ou non. Ainsi, si l’homéopathie et l’astrologie par exemple sont consommées par les Modernes, elles ne sont pas socialement promues, bien que tolérées par la communauté – pour autant qu’elles se cantonnent à la sphère privée. Ou encore l’amour, ce phénomène que nous expérimentons tous mais que pourtant nous ne savons mesurer, ne fera jamais l’objet d’une politique dans une société moderne, sans être profondément raillé. L’origine du rejet de l’irrationalité chez les Modernes ne paraît pas être une conséquence de l’introduction de la science dans leurs sociétés, qui s’accommode très bien de ce qui ne peut être expliqué, puisque la science précisément cherche à expliquer l’inexplicable[18]. Non, en réalité, le rejet de l’irrationnel n’est pas à chercher dans les sciences, mais dans la nature du contrat social moderne : la communauté passe un accord visant à protéger ses contractants d’un monde violent – chez Thomas Hobbes, l’un des premiers penseurs du contrat social occidental -, ou à les sortir de la pauvreté intellectuelle et matérielle – les Lumières. Chez les modernes, le monde est un lieu dangereux contre lequel on doit se défendre, la nature est hostile et cherche à nous nuire. Seule une alliance passée entre Homo sapiens contre elle permet de lutter. La nature est un objet aussi bien réifié chez les Modernes que chez les autochtones; mais chez les Modernes, on est en guerre contre lui.

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Maîtriser son chaos naturel et les autres membres de notre communauté ou des communautés extérieures une nécessité consubstantielle au vivre ensemble. C’est le Grand Refus de la nature et des hommes, où l’on va élaborer des méthodes de contrôle toujours plus sophistiquées du danger. Il s’agit d’une lutte pour accoucher d’une société parfaite ici et maintenant. Au contraire d’une culture autochtone, dont les chefs cherchent aussi à protéger ses contractants (s’ils échouent dans leur tâche, ils seront remplacés, tout comme chez les Modernes), mais le font en passant une alliance avec la nature. C’est un contrat osmotique avec la nature, qui lui transmet ses instructions au moyen de l’irrationnel, soit des signes ou des activités chamaniques qu’il convient d’interpréter. La nature est parfaite et si nous l’écoutons, elle nous enseignera comment nous renforcer nous-mêmes pour mieux vivre; c’est pourquoi les cultures autochtones, au contraire des modernes, acceptent bien plus le monde tel qu’il est. Il est ordonné et tel qu’il doit être. Elles étudient le cosmos de manière empirico-rationnelle, par essai-correction-erreur, débattent à son sujet entre eux au moyen de débats rationnels, mais leur irrationnel repose sur la connexion et le dialogue permanent qu’ils entretiennent avec les rivières, les arbres, la faune. Le moderne veut comprendre le monde pour agir, alors que l’autochtone veut aussi le ressentir et en faire partie. Là où le moderne a décidé de se méfier de son ressenti [19], l’autochtone également, mais il y a ajoute l’exploration de ses sens, les développe pour interagir avec son environnement, tout en que son expérimentation est limitée. C’est pourquoi lorsque les mondes autochtones communiquent avec la nature, la soigne, et lorsqu’ils souhaitent en prélever des éléments, il lui en demandent la permission préalable, car ils sont limités dans leur compréhension du monde. En réalité, on pourrait aussi bien prétendre que les contrats sociaux autochtones comme modernes sont rationnels, puisqu’ils suivent une méthode reproductible; ou au contraire, on pourrait prétendre que tous deux sont aussi irrationnels l’un que l’autre, puisqu’ils ne peuvent définitivement démontrer leurs axiomes.

Car il serait erroné de croire que la rationalité n’a pas de place dans une culture autochtone. L’importance d’un argument, de la rhétorique, du rejet du sophisme, sont universels. On pourrait oser rattacher cette universalité au fonctionnement général du cerveau humain, un outil d’une efficacité inégalée pour reconnaître des régularités dans son environnement et par conséquent chercher à prévoir le futur, ou la même action provoquera la même réaction. Peut-être est-ce en raison de cette capacité que, aussi bien les modernes que les autochtones, ont une vision ordonnée du monde : les axiomes en sciences exactes sont des postulats qui précisément organisent le départ de la recherche, et qui ne sauraient être remis en cause, du moins le temps de la démonstration. La cosmóvision autochtone fonctionne de la même manière, mais l’expérience se vit en groupe, sans objectiver l’extérieur; à la manière d’un Descartes, on se méfie de nos sens limités, raison pour laquelle on utilise des psychotropes pour explorer l’univers, écouter différemment l’oiseau chanter, observer les danses des rivières ou les reflets des étoiles pour connaître notre monde. En somme, les différences sur le plan rationnel peuvent se résumer de la sorte : les modernes pensent que le monde est agressif, mais répond à des règles mathématiques qu’il est possible de mesurer avec des outils; les autochtones pensent que le monde est, qu’il répond à des règles physiques, mais ajoutent une dimension spirituelle qu’ils cherchent à expérimenter.

Si nous étions des ordinateurs, nous pourrions affirmer que les hommes et femmes autochtones sont dotés de la même puissance de calcul logique qu’un moderne, mais qu’ils tirent régulièrement la prise pour contempler l’univers sans chercher à s’y opposer à ce qu’ils ne comprennent pas. Ils voient leur environnement comme un partenaire, qui peut être cruel certes, mais qu’il convient toujours de respecter car ce partenaire est un membre de la communauté, voire même l’initiateur de la communauté. Les religions abrahamiques créent l’homme à l’image d’un Dieu anthropomorphisé, alors que les cosmóvisions autochtones font éclore l’homme d’un maïs, le transportent de lieux lointains sur le dos d’un serpent, un oiseau ou une étoile. Le respect du géniteur est identique, et bafouer les enseignements de celui qui nous a donné la vie serait inacceptable. C’est pourquoi les autochtones limitent leur besoins, car bien qu’ils aient besoins des ressources de leurs pères et mères, ils ne peuvent blasphémer et appauvrir leur géniteur dans leur désir égoïste de posséder plus – ces comportements sont fréquents, mais ils sont rejetés par les valeurs communautaires. Une conception typiquement autochtone encourage la communauté à donner si elle reçoit, à recevoir lorsqu’elle donne, à rechercher l’équilibre dans toute action. Traiter avec respect le membre de sa communauté dénommé « nature » requiert par conséquent de s’enquérir préalablement de l’autorisation pour tout prélèvement et, lorsque prélèvement il y a, chercher à restituer ce qu’elle a pris. La méthodologie autochtone est cohérente, dès lors que la nature est inclue dans le pacte social.

Ces auto-limitations et réparations sont, il faut bien l’avouer, en perte de vitesse depuis des siècles : partout sur la planète, les jeunes générations autochtones sont attirées par l’illimitation des besoins, le refus de la frustrations, les promesses de la jouissance matérielle de la modernité. Ils suivent de nouvelles formations dans des écoles qui leur parlent de guerres et d’objets inconnus, partent étudier à l’université pour parfaire leur curiosité, et leur monde qui se limite à une petite communauté leur semble ensuite bien réduit : ils quittent par centaines, par milliers un monde devenu insuffisant à leurs yeux, embrassent la modernité et son contrat social, et rejettent leurs cultures originelles, car méprisée dans leur nouvel environnement moderne. La dernière vague de mondialisation, avec l’arrivée des téléphones portables, semble accélérer la déconnexion des jeunes autochtones de leur antiques cosmóvisions, qui souhaitent accéder à une vie plus clémente. Comme cela a été présenté ci-dessus, la modernité est plus efficace dans pour assurer un meilleur confort matériel; et l’être humain est identique partout, il privilégie plus facilement l’immédiat que le potentiel.

Il reste néanmoins encore des centaines de communautés dans le monde qui résistent avec fierté, et qui ont beaucoup à nous apprendre dans un monde qui se meurt en raison de la modernité et l’illimitation de ses besoins.

La raison instrumentale est responsable de la disparition de la vie animale et du changement climatique

Nous avons rapidement présenté les philosophies des Modernes et des autochtones, et leurs conséquences sur deux types de contrat sociaux bien différents. L’objectif ambitionné est de trouver des solutions aux catastrophes annoncées, car le constat est clair : il nous est impossible de continuer à vivre dans la modernité. Les révolutions industrielles successives, qui ne sont que des augmentations d’ingiénérie (de puissance de calcul et de reproduction d’objets à l’identique), sont la seule raison d’exister des rapports du GIEC qui se succèdent tous les sept ans pour répéter ad nauseum la même chose : nous étions encore trop positifs dans notre précédent rapport, la situation est en réalité bien plus grave que nous l’imaginions dans nos pires hypothèses. Le rendez-vous annuels des COP n’existent pas pour parler de la disparition de la biodiversité ou du changement climatique, mais pour éviter d’assumer toute responsabilité ou d’avoir à nous engager dans des remises en question profondes de nos sociétés. Les directions politiques que nous suivons vont même, depuis quelques temps, à l’encontre de toute action efficace. Plus la situation s’aggrave, plus la fuite s’accélère.

En effet, les résultats de nos agitations seront toujours très limitées, sans effet concret. Par exemple, à la suite des alarmes émises par les scientifique et industriels du Club de Rome, le concept de développement durable est né, soit une extraction qui serait en « adéquation » avec les ressources ; or, en 50 ans, les deux tiers des vertébrés ont disparus de la planète, sans que ce terme ne soit vraiment remis en question. L’échec est total, et du Protocole de Kyoto au marché du carbone définit lors de la COP 26 à Glasgow, les remèdes appliqués suivent ce modèle de développement durable initié dans les années 60 : investir de l’argent en échange de la continuation de la transformation de la nature. Les représentants de la modernité expliquent que les décisions nécessaires sont prises, on s’agit, mais toute solution dirigée à changer nos sociétés est soigneusement évitée, car ne l’oublions pas, la modernité repose sur l’illimitation de nos besoins. Comment la pensée moderne pourrait-elle s’accommoder d’une planète finie, elle qui se destine à une croissance illimitée ? Elle n’accouche que de solutions techniques, alors que la technique a précisément mené la modernité au point de rupture. Toutes les propositions reposent sur une transformation différente de la nature, tel utiliser le gaz de schiste et l’électricité pour remplacer le pétrole. Nous remplaçons nos voitures à essence par des voitures électriques, nous remplaçons nos centrales à charbon par des cellules photovoltaïques. Notre environnement est malade, et nous continuons à extraire des remèdes de son propre corps prétendant pouvoir ainsi le guérir : la modernité n’acceptera qu’une solution puisse ne pas être technologique, car elle est limitée dans sa vision de la nature, elle en est déconnectée. En parler en d’autres termes que d’ingéniérie est tabou, car la modernité vise précisément à émanciper l’homme de la nature, contre laquelle il a passé un contrat social. Mais pour la première fois depuis les révolutions industrielles, la modernité ne parvient pas à résoudre le problème auquel elle est confrontée.

La raison en est simple : la 6ème extinction de la vie sur Terre et le changement climatique sont précisément des conséquences de la modernité. On ne peut « résoudre notre problème » que d’une seule manière, en sortant ou modifiant les axiomes sur lesquels reposent la pensée moderne. En cessant de croire que l’on doit trouver une solution à tout, mais au contraire en embrassant la partie irrationnelle dont nous nous sommes coupées, celle-là même qui nous permettait d’anthropomorphiser la nature. Et former nos communautés autour d’un nouveau contrat social, qui inclurait la nature.

Des solutions ? Non, des voies. Demander la permission.

C’est dans les périodes de crises que les changements les plus profonds voient le jour. Ces crises qui ne nous laissent pas respirer, et pour lesquelles l’homme invente de nouvelles formes de natation. Car il ne s’agit plus ici d’inventer un nouveau type de bouée, mais apprendre à nager avec moins. Nous ne pouvons continuer dans la voie qui a été la nôtre depuis quelques siècles, puisqu’elle est la raison de notre crise.

La rationalité moderne nous présente le monde comme objet et non comme sujet. Elle ne fusionne plus avec le monde, déconnectée des étoiles et des arbres. La contemplation, une activité hautement philosophique qui requiert de ne rien faire, a été pourtant portée aux nues par les philosophes, y compris occidentaux. Mais perçue comme inutile dans la modernité, où tout doit avoir une utilité immédiate pour assurer la protection de sa communauté, nous l’avons jugée limitative et rejetée. Les parents autochtones, au contraire, emmènent leurs enfants pour aller voir les singes, les fourmis, et les oiseaux, pour qu’ils puissent, dès leur enfance, expérimenter la nature, et attiser aussi bien leur curiosité que leur envie d’en faire partie. Chez les modernes, on emmène les enfants dans un zoo, voir des animaux à distance dans des cages, et l’on reste ainsi protégé, coupé de nos sens. Cela nous empêche de voir la nature telle qu’elle est, mais en réalité de la contrôler, et nous la présenter telle que nous voulons qu’elle soit.

La voie de la modernité telle qu’elle a été suivie jusqu’ici ne pourra que prolonger notre agonie. Nous fournir des remèdes de charlatans à des maux que nous provoquons nous-mêmes, des emplâtres sur des jambes en bois. Nous pouvons au contraire postuler que, à la façon de peuples autochtones, qui cherchent au mieux à marier la pensée moderne avec leur propre pensée traditionnelle, il convient d’adapter également notre forme de pensée. De la réformer en profondeur, en particulier sous son angle philosophique, contractuel.

Toutes les solutions se doivent d’être collectives, et peut-être pourrions-nous commencer à demander, ensemble et à notre façon, la permission à la nature. Soit de réaliser que, ce n’est pas parce que nous pouvons faire les choses, qu’il est nécessaire de les faire. Cela demande peut-être de réaliser l’un des plus grand sauts philosophiques de notre histoire, mais nous sommes face à une situation qui nous paralyse tant et si bien, qu’elle nous ôte tout contrôle sur notre destinée. Si notre espèce souhaite survivre, elle devra non seulement faire preuve de créativité et questionner ce qu’elle tient pour une évidence, mais aussi faire preuve de courage – et ne plus fuir ce que lui disent à la fois ses sens, et ses sciences.

Références

  1. Je définis ici la modernité comme la pensée gréco-romaine, complétée par des apports multi-culturels issus des différentes mondialisations[]
  2. On parle de la 6ème extinction de masse du vivant pour décrire le phénomène de perte accéléré de la biodiversité dont l’humain est responsable.[]
  3. « Many or most of the world’s major centers of biodiversity coincide with areas occupied or controlled by Indigenous Peoples. Traditional Indigenous Territories encompass up to 22 percent of the world’s land surface and they coincide with areas that hold 80 percent of the planet’s biodiversity. » The Role of Indigenous Peoples in Biodiversity Conservation, World Bank, 2008.[]
  4. Ces trois éléments sont librement inspirés de « Homo Deus« , de Yuval Harari[]
  5. Notre fusion organique avec nos outils mécaniques[]
  6. De « tekné » en grec, faire des choses, soit les instruments que nous utilisons.[]
  7. Il est important de noter ici que cette connaissance n’est pas théoriquement hors de portée, mais est l’est pratiquement. Même si une entreprise responsable de vêtements voulait connaître l’origine de tous ses éléments qui permettent de fabriquer son produit final, elle en serait incapable en raison des intermédiaires d’intermédiaires, qui changement constamment et ne peuvent être tracés continuellement. La multitude d’acteurs impliqués dans la réalisation d’un vêtement est telle qu’il est devenu impossible, au XXIe siècle, de prétendre maîtriser totalement la chaîne d’approvisionnement. En 2019, l’entreprise étasunienne Black Diamond a décidé, devant l’impossibilité de connaître la provenance de se matériaux, de transformer son usine de production en usine d’assemblage.[]
  8. Je préfère les termes de « spécialisation technologique » à « division du travail », cette dernière expression étant connotée politiquement et scientifiquement, faisant appel à quantité de notions que je ne souhaite pas développer dans le champ de cette réflexion.[]
  9. Philosophie développée par Jeremie Bentham qui postule que le bien-être humain doit être évalué en fonction du nombre de personnes qui bénéficient d’une action. Si une minorité souffre, mais qu’une majorité profite d’une action, la majorité sera toujours préférée.[]
  10. Jeremy Bentham était un avocat des animaux, et combattait la souffrance animale non nécessaire. Toutefois, cet aspect de sa philosophie, au demeurant important, ne s’est pas transmis dans le projet politique moderne, où des usines à exécuter jusqu’à des centaines de milliers d’animaux sont construites et font cas du bien-être animal que très marginalement.[]
  11. Je parle bien évidemment ici de la modernité, du pacte social moderne, et pas de la méthode scientifique, qui n’est pas politiquement prescriptive[]
  12. Soit l’être humain parfait, postérieur au passage temporaire par le communisme[]
  13. Il convient ici de séparer les conséquences de l’application de la pensée de Marx de sa pensée elle-même. Marx considérait l’homme faisant pleinement partie de la nature, mais réduisait ses interactions à des utilités: « L’homme est immédiatement être de la nature. En qualité d’être naturel, et d’être naturel vivant, il est d’une part pourvu de forces naturelles, de forces vitales; il est un être naturel actif; ces forces existent en lui sous la forme de dispositions et de capacités, sous la forme d’inclinations. D’autre part, en qualité d’être naturel, en chair et en os, sensible, objectif, il est, pareillement aux animaux et aux plantes, un être passif, dépendant et limité ; c’est-à-dire que les objets de ses inclinations existent en dehors de lui, en tant qu’objets indépendants de lui; mais ces objets sont objets de ses besoins ; ce sont des objets indispensables, essentiels pour la mise en jeu et la confirmation de ses forces essentielles. Dire que l’homme est un être en chair et en os, doué de forces naturelles, vivant, réel, sensible, objectif, c’est dire qu’il a pour objet de son être, de la manifestation de sa vie, des objets réels, sensibles, et qu’il ne peut manifester sa vie qu’à l’aide d’objets réels, sensibles. » K. Marx, Manuscrits de 1844, chap XXVI, p. 145[]
  14. C. D. Stone, « Should trees have Standing ? Toward legal rights for natural objects », Southern California Law Review, 1972, n° 45, p. 450-501[]
  15. Après tout, se plier à des valeurs transcendantes, n’était-ce pas précisément l’approche de l’éthique continentale, avant que l’utilitarisme de Bentham ne vienne bouleverser l’éthique ? Et depuis Bentham, les deux ne coexistent-elles pas dans les sociétés Modernes?[]
  16. La naissance de la science politique pour les relations internationales s’est faite sous l’angle du réalisme politique (realkpolitik). Il s’agissait de s’approprier scientifiquement les relations entre Etats, cherchant à gommer l’irrationnel dans les relations internationales. Machiavelli, Clausewitz, Bismarck, et Morgenthau ont participé à élaborer des outils pour comprendre les relations entre Etats et leur appliquer une rationalité, bien que leur approche a eu pour conséquence mécanique de faire de la guerre une relation rationnelle entre nations.[]
  17. Il faut comprendre le laïcisme ici comme une politique d’Etat restreignant l’irrationnel à la sphère du privé.[]
  18. Rappelons ici que les théories de Gödel démontrent que les explications scientifiques sont, par nature, incomplètes. C’est pourquoi la science ne devrait jamais être vue comme une certitude, mais uniquement comme une méthode – dont l’efficacité est supérieure en ingiénérie[]
  19. C’est tout l’apport de Descartes[]
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