L’élection de Trump n’est pas qu’une catastrophe pour les Étasuniens, qui auront à subir le programme du Projet 2025; elle est, également, la fin de l’ordre libéral.
L’ordre libéral est la structure mise en place dans l’Après-Guerre destinée à résoudre les conflits entre Etats : au moyen d’institutions comme l’ONU, l’OMS, l’UE même, il était ambitionné de mettre fin au cercle vicieux de la guerre. Inspirés par le libéralisme économique des Britanniques, ou le libéralisme politique des Lumières, on pensait avec Bentham et Montesquieu que le « commerce adoucit les mœurs ». Les Occidentaux, avec hypocrisie certes, ont porté l’étendard de la démocratie haut et fort durant 80 années, luttant dans une Guerre Froide qui n’était tempérée que pour eux-mêmes. Dans le reste du monde, ces principes se sont heurtés contre les récits nationalistes africains et latino-américains [1], qui recherchaient légitimement leur émancipation. Mais par peur que ceux-ci ne rejoignent les Soviétiques, ces mouvements d’indépendance qui auraient pourtant dû recevoir le soutien des libéraux, ont au contraire été tués dans l’œuf.
Ces aises prisent avec les principes occidentaux ne doivent toutefois pas être sur-interprétés pour comprendre la crise du monde occidental : la fin de l’ordre libéral n’est pas le fait de rébellions de la périphérie, mais bien de son hyper-centre. Rome, l’empire millénaire méditerranéen, ne s’est pas effondrée en raison de ses barbares, mais bien en raison des coups venus de l’intérieur. Les USA, le pays le plus puissant de l’histoire, et garants de l’architecture post-IIe Guerre Mondiale, ont progressivement glissé de leur rôle de protecteur à fossoyeur de la démocratie. En réalité, les USA sont devenus trop puissants : la victoire lors de la Guerre Froide les a galvanisé, et ils ont cessé de s’intéresser au droit international, qui limitait leur champ d’action. Lorsque Bill Clinton signe les Statuts de Rome de la Cour Pénale Internationale, les USA sont encore favorables à une architecture légale et par un monde plus équitable. Mais l’élection de Bush, son invasion illégale de l’Irak, la naissance des Tea Parties au cours des années 2000, ou même le désintérêt progressif pour l’Europe initié par Barack Obama, étaient autant de signes qui nous alertaient du changement en cours : « le droit international ne sera plus notre priorité ».
Or, pour que le droit international, cette chose si étrange qui se créé presque mécaniquement au fil des nécessités, ne puisse fonctionner, il est nécessaire qu’un pays puissant assure son application. Dans l’arène mondiale, il n’existe pas de gendarme chargé de faire respecter le droit international, contrairement au droit national où la force publique se charge de faire appliquer les décisions judiciaires. Dans les relations interétatiques, chaque pays peut décider d’appliquer, ou pas, les décisions prises par le juge international. Les USA, en sombrant dans le fascisme et le rejet de toute limitation légale à leur action depuis le 20 janvier 2025, ont entériné un mouvement de fond qui était déjà présent, mais qu’on se refusait à voir. Une lame de fond qui dépasse d’ailleurs les USA, puisque toutes les démocraties occidentales sont tentées de prendre leurs distances avant les engagement internationaux depuis au moins une décennie : peut-être les leaders n’ont-ils pas été à la hauteur, et que leurs populations, frappées par le cynisme des interventions irakiennes et libyennes, fatiguées d’un monde dans lequel elles ne comprennent plus à quel point il leur est pourtant favorable, sont tentées par des corrompus honnêtes, soit des criminels qui n’emballent plus leurs intentions d’une pléthore de mensonges, mais leurs disent en toute franchise : ce monde est une jungle, et je serai votre roi. La démocratie est un système imparfait, car elle requiert de rassurer sa population, ce qui ne peut se faire si on lui dit toute la vérité. On peut tout pardonner à un homme, mais il est difficile de pardonner à une institution désincarnée.
Les parallèles avec la chute de la Société des Nations (SdN) en 1933 sont légions : alors que la SdN se voulait un embryon de résolution des conflits par la parole, les futurs pays de l’Axe quittent, tour à tour, la récente enceinte de dialogue destinée à limiter leur visées impérialistes. Trump, qui souhaite annexer le Canada, le Groenland, le Panama pour laisser une empreinte dans l’histoire, fera rigoureusement la même chose, soit de manière formelle ou informelle. Après le retrait de l’OMS, des Accords de Paris, du Conseil des droits de l’Homme, la mort cérébrale de l’OTAN et de l’OMC, Trump retirera son pays de toutes instance internationale qui peuvent le limiter. Les États-Unis de Roosevelt se retireront, ces prochaines semaines (ou mois, ou années) de l’ONU. Ceux-là même qui ont garanti durant 80 ans la paix en Occidents, sont les même qui détruiront, définitivement, l’architecture de paix internationale d’Après-Guerre.
Certains pays européens ont bien compris l’enjeu : s’ils veulent que la démocratie survive, il sera nécessaire de se passer du grand frère d’autrefois. L’Europe, deuxième économie mondiale, n’est pas sans atouts. Aux côtés de ses alliés canadiens, australiens, et latino-américains, elle aura des moyens conséquents pour résister à la fin de la coopération internationale. Car il n’y a aucun doute : l’ordre libéral est mort. Les USA, sombrant dans le fascisme un peu plus chaque jour, sont devenus les ennemis de la démocratie. Bien qu’il soit possible que la résistance intérieure américaine parvienne à renverser la vapeur, il serait irresponsable de compter là-dessus. Si les Américains ont été capables d’élire un homme condamné pour viol, fraude économique et fraude électorale, auteur d’une tentative de coup d’État en janvier 2021, il est fort à parier que cette résistance ne parvienne pas à faire pour changer l’opinion des soutiens de Trump, entouré des plus grandes fortunes du monde, possédant un parti et un congrès à ses ordres, et une Cour Suprême qui a déjà déclaré précédemment qu’un président en exercice ne peut être tenu pour responsable de ses actes. Ou en tout cas, pas sans violence. La Constitution étasunienne n’avait jamais prévu un homme comme Trump.
Les années à venir s’annoncent donc difficiles. L’Union Européenne ne peut laisser la Russie conquérir l’Ukraine, et ne peut plus compter sur les USA qui veut la démembrer. Et si les premières ripostes des leaders européens sont encourageantes; il va falloir se mouiller. En tant que citoyens, vous et moi avons un rôle à jouer. Il va falloir que les démocrates se mobilisent comme un seul homme, faisant fi de tout ce qui les sépare. Car le monde dans lequel nous sommes entrés depuis le 20 janvier 2025 est agressif, violent, et n’a que faire de l’équité, des droits humains, ou de la liberté. Il est l’expression d’un monde conservateur qui veut réinstaller l’homme blanc sans instruction ni compassion au pinacle, retirer tout pouvoir aux minorités, mettre les femmes à la cuisine. C’est un monde du chacun pour soi, où la force est admirée, la science et l’intelligence raillées. Souvenons-nous que nous n’avons pas mis fin au fascisme avec de belles paroles, des phrases ampoulées et des rappels historiques. Dans un monde fasciste, le mensonge est transformé en propagande qui donne au faux les atours du vrai. Le fascisme est imperméable à l’argument, seule la force peut le stopper. On ne philosophe pas sur les Lumière avec un bandit des grands chemins qui veut vous soumettre, on lui résiste.
Préparons-nous à faire usage de cette force. Car nous avons grandi dans un monde où la résolution des conflits devait, théoriquement, se faire au moyen de la justice. Ce monde est terminé. La bête immonde est de retour, et il faudra, bon gré mal gré, faire usage de l’épée de la justice pour lui couper la tête. Faisons face, avec vaillance, débarrassés de ce qui nous sépare et réunis par notre envie de rire et nous aimer, à la violence qui veut nous retirer la science, la compassion, et l’intelligence. Car s’ils ne sont pas tués dans l’œuf dès leur débuts, les âges des ténèbres ont tendance à perdurer.
Ne laissons pas nos ennemis nous soumettre. Ne les laissons plus respirer. Gagnons la guerre culturelle, car nous avons été trop tolérants. Luttons contre les despotes qui souffrent que nous puissions mettre en doute leur parole qu’ils veulent infaillible. Ne tremblons pas, et rappelons-nous que le changement est le propre de nos existences, celui qui donne toute sa beauté à la paix, la liberté, et la tolérance. Plus tard, nous reconstruirons un nouveau monde; mais avant cela, soyons dignes de ce qui nous été légué. Nous serons victorieux, car la Grande Histoire nous a toujours donné raison.
Démocrates de tous les pays, unissez-vous !
Références
- Tels les assassinats de Thomas Sankara, au Burkina Faso en 1987, et de Salvador Allende, au Chili en 1973[↩]