C’est dans la fraîche matinée du 8 mars qu’un deuxième oiselet a fait son entrée dans le paysage romand de l’actualité : pour informer une population d’un million d’habitants, deux journaux sont dorénavant en concurrence dans le domaine des canards gratuits. Comparaison de deux drôles d’oiseaux, effectuée avec des gants pour éviter toute transmission de grippe aviaire.
Le premier quotidien à avoir été lancé, le « Matin bleu », pouvait inspirer un bilan moins négatif qu’on pouvait le supposer de prime abord. Style TGV comme la cible qu’il vise, des articles dépouillés de commentaire – hormis pour le people, il a toutefois l’avantage considérable de mettre dans des mains autrefois déplumées quelques pages d’informations sommaires.
Depuis hier est arrivé à tire d’ailes le « 20 minutes », distribué à la criée devant les gares comme on vendait les journaux au début du siècle passé. Ouvrant un oeil paresseux, on parcourt la bête gratuite; et là, l’impression relativement nuancée au sujet de l’information gratuite fait place à une déception à la hauteur du nombre de pages – 72, pour sa formule de lancement, et réduit de moitié dès le lendemain. L’information est principalement axée autour du fait divers et du sensationnel, et il faut s’y reprendre à plusieurs reprises pour dénicher quelques maigres nouvelles vraiment informatives.
Les manchettes sont identiques pour les deux quotidiens; le ton est rapidement donné chez l’un comme chez l’autre : ce sera du people ou rien, la concurrence entre les deux ennemis semble pousser le tout vers le bas. Un article passionnant sur le vol présumé – mais démenti – par un employé du « Matin bleu » d’une caisse de distribution du « 20 minutes » nous renvoit à cette bonne vieille série « Derrick », où le principe était de meubler des épisodes ayant pour personnage principal le téléphone qui sonnait des minutes durant; le reste était annexe. Ce qui est devenu annexe avec les gratuits, dorénavant, c’est l’information.
Cette constatation est d’autant plus vraie avec le « 20 minutes » : l’international se résume à deux pages sur 36 (dans l’édition de ce jeudi) et est principalement composée de dépêches d’agences dont le sujet vise sous la ceinture. « Première insémination artificielle d’une éléphante », « une centaine de prêtres soupçonnés d’abus sexuels », « la Pologne, réservoir de la prostitution », c’est à se demander comment le journal réussit à se contenter de deux pages pour ses nombreuses nouvelles internationales.
Le démarrage du « 20 minutes » fait craindre le pire pour le « Matin bleu ». Ce dernier a déjà la même proportion de pages relatant l’international, avec plusieurs articles identiques à son confrère. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, mais les deux réussissent pourtant à rapporter des statistiques chiffrées différentes.
C’est avec beaucoup d’attention qu’il faudra suivre l’évolution de la presse gratuite romande. Plus qu’un simple phénomène de mode, les grands quotidiens francophones (le Monde, le Figaro entre autres) suivent le mouvement ou vont rapidement le suivre. On peut s’interroger sur l’avenir de l’information, qui a essuyé les premiers tirs ennemis avec l’arrivée du média internet. Aujourd’hui, les quotidiens gratuits font office de véritables appeaux, attirant les volatiles lecteurs, qui passeront d’un gratuit à un autre sans aucune fidélité, puisque tout est gratuit.
La concurrence, dont les rédacteurs en chefs respectifs déclaraient – si hypocritement – se féliciter, poussera immanquablement chaque journal à se démarquer. Créer une marque clairement identifiable par les lecteurs; a priori, et à défaut d’une stratégie officiellement énoncée par les responsables des canards gratuits, le « 20 minutes » pourrait s’orienter vers l’information-spectacle et le « Matin bleu » vers l’information-un-peu-moins-spectacle. Cet avis repose sur deux faits : la maison-mère du « Matin bleu », Edipress, a déjà une expérience de l’information; d’autre part, la version d’outre-Sarine du « 20 minutes », le « 20 minuten », a une histoire de presse trash. En conséquence, le premier paraît en bonne position pour voler à plus haute altitude.
Surveillons donc d’un oeil exercé, tels des chasseurs à l’affût, la direction que prendront nos deux zéro francs. Car pour le pire et le meilleur, l’information gratuite s’est installée, et il n’y aucune chance pour qu’elle disparaisse dans une migration saisonnière.
J’hésites à postuler pour une place de rédacteur sur ce blog… tu connais quelqu’un qui pourrait me pistoner ? 🙂
Moi, je vais gentillement laisser tomber cette voie, personne ne veut de moi. Pour un stage au courrier, de 3 mois minimum non payés, on s’inscrit en ce moment pour le mois d’octobre !
Je vais devenir aigri, et aux côtés d’une certaine avocate, passer mon temps à dire du mal des journalistes, à l’égard desquels je nourrirai une jalousie secrète sans limites.
8)
Oui, je le confirme: c’est la cata…
Le pire, c’est que j’avais vraiment écris au rédac’ chef… sur les conseils du rédac’ chef de… l’AGEFI. Enfin, c’est de la musique de passé, ce métier est trop bouché.
Je suis totalement libre donc de critiquer qui je veux ! 🙂
« Tiens, ça ferais une bonne idée d’article pour le “20 minutesâ€?, m’en vais leur en faire la proposition en leur envoyant mon CV »
J’avais dit que t’avais un lien avec eux.. maintenant tu vas nous faire croire qu’ils ont accepté ton CV et tu vas bosser pour eux!!
Si tu crois que je n’avais pas compris, depuis le début tu cherches à nous mener en bateau.
Brevet d’avocate l’été dernier, et c’est mot pour mot (pour ce qui est entre guillemets) ce que j’ai entendu; le menton m’en a touché le sol en entendant une telle absurdité. Je pense que tout ne doit pas être très clair dans son esprit sur ce qu’est l’idéologie de droite et l’idéologie de gauche, et que ce qu’elle voulait critiquer était avant tout le libertarisme – et parfois l’idéalisme – du journaliste, ce que le bon peuple aime à critiquer.
Tiens, ça ferais une bonne idée d’article pour le « 20 minutes », m’en vais leur en faire la proposition en leur envoyant mon CV.
Eh oui, j’étais plutôt nuancé dans ma position vis-à-vis du Matin bleu seul. Mais la concurrence a cet éternel défaut, que les néo-économistes darwinistes m’excusent, de faire tendre la qualité du message – dans le même envol que le prix du bien – vers le bas; il suffit d’allumer un poste de télé pour le comprendre.
Un bon vieux monopole journalistique, ou un musellement de la presse comme sous De Gaulle, y a que ça de vrai. « Marre de tous ces communistes de journalistes », qui nous emmerdent avec leur liberté d’expression (vue de la profession par une connaissance, avocate de profession).
Je ne pense pas, honnêtement, que ce soit uniquement la concurrence qui est en cause. C’est d’abord et surtout la vision financière qu’ont de l’information les éditeurs: l’info, ça ne devrait rien coûter et rapporter un max. Et tant pis, si l’on n’informe plus. Parce que le divertissement, la facilité, voilà qui attire des clients. Heu, pardon, des lecteurs.
Et ton avocate, elle a fait ses études de droit sous Pinochet, ou tu caricatures sa pensée ?
Heueu, oui, mais Tamedia, qui édite « 20 minutes », aussi…
Ahhhhh!! Enfin une parole sensée 😉 Je suis content que tu t’en sois aperçu. Ne reste plus qu’à convaincre le million et demi de Romands, « cible » de ces gratuits. Et ça, c’est une autre paire de manches…